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7 septembre 2017 4 07 /09 /septembre /2017 13:22

 

 

 

Septembre 2017. C’est la rentrée… L’occasion de revoir les collègues et de se raconter nos vacances. L’occasion des « Alors t’as eu du soleil ? » ou bien des « T’en as bien profité ? » …Et puis – quand on est prof d’Histoire – ou cinéphile – ou les deux comme c’est mon cas – cette rentrée 2017 a aussi été l’occasion d’un obligé « Bon, et toi, t’en as pensé quoi de Dunkerque ? » Parce que ça – rolalah mes amis ! – qu’est-ce qu’il a pu encore faire parler de lui ce dernier film de Christopher Nolan ! Ç’en est presque devenu une habitude tellement chaque sortie de l’auteur est l’occasion désormais de débats enflammés entre pros, antis, et tous les autres… Alors certes, d’un côté on pourrait y voir là un bon signe pour l’auteur britannico-américain. Qu’on parle de lui en bien ou en mal, au moins parle-t-on de lui, preuve pour certains qu’au moins il se risque à chaque fois à une démarche qui n’a rien de timide ou de consensuelle. De l’autre, on pourrait se demander si, de nos jours, on parle encore bien de cinéma quand on parle de Nolan tant les positions ont tendance à s’hystériser de plus en plus à son égard. Philosophe de pacotille au propos creux, pute de luxe du grand Hollywood, esbroufeur au service d’une certaine forme visqueuse de crypto-fascisme et bien d’autres… Je caricature à peine…

 

Donc oui, en cet été 2017 – et en cette rentrée de septembre ! – ce Dunkerque n’a pas échappé à la règle. Lui aussi a eu le droit à son lot de débats, plus ou moins construits, plus ou moins intéressants, plus ou moins rationnels… Dans la patrie de De Gaulle, certains ont élevé la voix contre l’anglocentrisme du film et les passages sous silence des sacrifices français consentis lors de cette bataille. Sur Allociné, la critique qui avait d’ailleurs recueillie pendant l’été le plus de suffrage de la part des « utilitaristes » du site parlait même carrément d’un film « hautement churchillien ». Et pendant que d’un côté, des magazines spécialisés consacraient la presque totalité de leur article à cette polémique – comme ce fut « étonnamment » le cas des Les cahiers du cinéma – d’autres débattaient essentiellement des aspects et considérations techniques qu’impliquaient le tournage. Ainsi pouvait-on écouter ou lire des critiques qui passaient l’essentiel de leur temps à parler d’IMAX, de pellicule vs. numérique, ou bien encore d’importance de l’objet physique dans le cinéma. Ce fut notamment le cas des quelques vlogueurs les plus suivis de la toile… Ainsi, un peu à l’image des précédents Interstellar ou autres Inception, on s’est encore une fois bien passionné sur pas mal de détails. Tellement d’ailleurs qu’on était en droit de s’étonner qu’en passant d’une critique à une autre on se retrouve à discuter de sujets parfois totalement différents, même si au final tous avaient pour dénominateur commun ce même Dunkerque. Comme si le film était si riche (ou si clivant selon les points de vue) qu’il pouvait alimenter à lui seul plusieurs débats à la fois…

 

Personnellement, moi, ça ne m’étonne pas. Mieux, ça ne dérange pas. Oui, le cinéma de Nolan peut se vanter d’avoir cette caractéristique de faire beaucoup parler de lui. Tant mieux. C’est que d’une façon ou d’une autre, comme je le disais il y a de cela à peine quelques lignes, on a toujours quelque-chose à dire sur lui. Moi le premier, à part pour Following et Insomnia, j’ai alimenté ce blog de bien longs articles pour chacun de ses films sortis. Bref, ce n’est clairement pas moi qui vais me plaindre de la chose. D’ailleurs, avant même d’aller voir ce Dunkerque, il me semblait déjà assez évident que j’allais aussi écrire un long article à son sujet … Et si au final la prédiction s’est bien vérifiée (puisque justement vous lisez ces lignes), il y a pourtant quelque-chose d’assez singulier qui s’est opéré avec ce Dunkerque et que je n’avais jamais ressenti face à tous ses prédécesseurs. Et au fond, cette singularité, on la ressent justement aussi dans la façon dont tout le monde a parlé de ce film jusqu’à présent. Quand on parle de Dunkerque, on parle beaucoup plus de ce qu’il y a autour du film plutôt que ce qu’il y a dedans. Pour moi, jamais on a autant débattu des choix de Nolan en tant qu’auteur que sur ce film là… Avec Dunkerque, on ne s’est pas simplement questionné sur la pertinence de quelques détails comme la façon de mourir de Marion Cotillard ou bien encore de la logique de fonctionnement de certaines scènes. Non, là on a clairement questionné la démarche globale. On a questionné un choix de regard. On a même été jusqu’à questionner un choix technique… Et le pire dans cette histoire c’est que moi aussi, au moment de penser cet article, j’en suis arrivé à ce point. J’en suis arrivé à cette évidence que pour parler au mieux de Dunkerque, cette fois-ci, il ne faudrait pas que je cherche à analyser ce que ce film a dit ou ce que ce film a signifié. Non, cette fois-ci, il m’est apparu comme indispensable d’analyser ce que l’auteur a voulu dire ou bien encore de ce qu’il a voulu signifier … Or pour moi, en passer par là, ça revient à reconnaître quelque-chose d’assez édifiant. Pour moi, ça revient à reconnaître que le film ne fonctionne pas par lui-même. Ça revient à reconnaître que pour pleinement comprendre et apprécier ce film, cela nécessite une remise en contexte de l’œuvre par rapport au parcours de son auteur, par rapport à la technologie du moment, par rapport aux contraintes posées… Bref, ça revient à reconnaître… un échec de l’œuvre à convaincre par elle-même.

 

Parce que oui, je considère que Dunkerque est un échec. J’ai beau poser la question à toutes les facettes de ma personnalité – le prof, le cinéphile, l’adorateur de Nolan, le jouisseur – toutes aboutissent à cette même conclusion : non, ça ne marche pas.  Alors après, entendons-nous bien. Pour moi l’échec n’est pas forcément synonyme d’un film « mauvais » ou d’un film inintéressant. Non. Dire cela, c’est juste considérer qu’un film a échoué par rapport à son intention première ou par rapport à ce qu’il aurait dû être. Dire cela, c’est considérer qu’il n’a pas dit ce qu’il voulait / pouvait / devait dire et qu’il n’a fait ressentir ce qu’il voulait / pouvait / devait faire ressentir… Alors j’ai bien conscience qu’affirmer une telle chose se heurte à la barrière de la subjectivité. Après tout certains ont adoré Dunkerque, et ce n’est clairement pas le but de cet article que de chercher à leur démontrer qu’ils ont eu tort de le faire. Non. Le but de l’article est ailleurs. Le but de l’article est de démontrer que finalement, Dunkerque est une sorte d’équation invalide, ce qui en fait pour le coup un objet filmique étrange. Et quand je dis « étrange », je ne le pense pas qu’un peu car – quand même – osons regarder la réalité en face : voilà qu’on s’est retrouvé avec un Dunkerque dans lequel la fameuse bataille du même nom n’a finalement même pas eue lieu…

 

 

 

Le piège de Dunkerque.

 

 

 

 

En juin 1940, Dunkerque fut un piège pour les Alliés parce qu’ils n’avaient pas prévus cette tournure de la guerre. Les Allemands qui passent par les Ardennes en même temps que par la Belgique : c’était un scénario de prise en tenailles que personne n’avait envisagé. C’est d’ailleurs la définition même du piège. On tombe dedans parce qu’on ne l’avait pas envisagé / anticipé / remarqué… Et je pense que c’est justement ce qui est arrivé à Christopher Nolan avec ce Dunkerque : il s’est laissé piéger. Et de mon point de vue il s’est vraiment laissé piéger par un choix tout con. Ce choix qui explique justement qu’on ne voit pas les Français au combat ; ce choix qui explique qu’on ait des plages nickels et un ciel bien vide ; un choix qui explique les longues périodes d’atonie parmi les soldats… C’est peut-être même ce choix qui est responsable de la manière dont se structure au final cette fameuse timeline en trois temps… Et quel étrange paradoxe pour moi que de mettre au banc des accusés un choix que je trouve d’habitude fort louable. Ce choix, c’est celui de l’esthétisme.

 

 

Car oui, Nolan est un esthète. Je pense que c’est quelque-chose qu’il est difficile de lui retirer. On peut ne pas aimer sa façon de penser le cadre, le montage, la place de la musique. Il n’empêche que malgré tout, pour chacun de ces secteurs artistiques, on sent une cohérence et surtout une exigence qui relèvent de l’orfèvrerie. Alors certes, Nolan n’est pas que ça. Et d’ailleurs, quand on s’attache à ce qu’il s’est dit autour de ses précédents films, on constate même d’ailleurs que l’esthétisme est souvent passé au second plan des préoccupations et débats, derrière les questions de scénarisation, de concepts abordés, et de propos développés… Pourtant, l’esthétisme fait partie de la magie Nolan ; de son goût presque mathématique à fournir une œuvre globalement cohérente aussi bien dans sa forme que dans son fond. Et ne pas voir chez Nolan cette exigence d’esthète, c’est ignorer quelques choix formels opérés par le passé et qui lui avaient déjà valu quelques remarques acerbes de la part de quelques-uns de ses détracteurs. Qu’on parle d’ailleurs autant de ce choix de tourner ce Dunkerque presque intégralement en pellicule IMAX n’est pas pour moi quelque-chose d’anodin. Ils sont rares ces fois où même la presse grand public se focalise autant sur des choix aussi techniques que la préférence d’un tournage en pellicule plutôt qu’avec des caméras numériques. (Evoque-t-on seulement la chose quand c’est Ben Stiller qui fait le même choix ?) Oui, Nolan préfère la pellicule parce que sa sensibilité à la lumière est plus subtile. Pour le coup on est dans la même situation qu’un mélomane qui préfère écouter sa musique en vinyle. C’est lié à la physique du support. C’est comme ça. C’est un fait. Ce choix impacte vraiment le rendu visuel de l’œuvre que l’on filme. On peut juger ça superflu ou indispensable, mais c’est une réalité que certains vlogueurs béotiens se devraient de connaître avant de s’exprimer de manière trop prématurée sur ce film. Et au fond, il en va de même avec le choix particulier d’une pellicule IMAX 70mm. L’image est plus nette, son format apporte davantage de verticalité ce qui est loin d’être négligeable sur un plan aérien par exemple. Et là aussi, choisir l’IMAX c’est un choix d’exigence, car même pour un gros budget comme Dunkerque, tourner en IMAX c’est d’imposer un coût et surtout des contraintes énormes lors d’un tournage. Une caméra IMAX c’est lourd, c’est délicat, c’est bruyant, ça a un magasin qui se vide plus vite, ça nécessite une exigence méticuleuse en termes de photographie car chaque défaut se voit bien plus que sur une image à la résolution davantage standard… Bref, oui, quand Nolan fait le choix de la pellicule IMAX sur Dunkerque, il fait un choix d’esthète. Il fait un choix de perfectionniste. Un choix qu’il avait d’ailleurs déjà partiellement accompli en 2007 sur le tournage de The Dark Knight – une première pour un blockbuster ! En somme, il fait un choix d’exigence qu’on aurait du mal à reprocher à un cinéaste, et pourtant, comme je le disais plus haut, je pense que c’est ce choix d’esthète qui – ce coup-ci – a totalement piégé Nolan…

 

En quoi pourrait-on dire que cette exigence d’esthète a été préjudiciable à Nolan sur son Dunkerque et pas sur ses précédents films ? Eh bien peut-être à cause du sujet même de Dunkerque justement. L’épisode de la fameuse Poche de Dunkerque, c’est une question de bataille pour la survie : une bataille sur la terre, sur la mer et dans les airs. Et qui dit bataille aérienne dit désir de verticalité. Or, ça, pour un esthète comme Nolan, ça dit forcément IMAX… Comme je le disais plus haut, Nolan avait déjà expérimenté l’IMAX sur quelques scènes de The Dark Knight. Quelques-unes donc mais pas toutes. Pourquoi ? Parce qu’au fond, des scènes nécessitant de la verticalité, on en a très peu dans The Dark Knight. C’est le cas lors de la scène d’introduction qui se passe dans un quartier d’affaires ; là où les seules tours appellent à cette fameuse verticalité. C’est le cas aussi dans la plupart des moments où on se retrouve avec des plans aériens. En dehors de ces scènes là, l’IMAX ne s’imposait pas. D’ailleurs The Dark Knight comme The Dark Knight Rises a été davantage tourné avec des caméras 35mm plutôt qu’avec des caméras IMAX. La motivation de Nolan est d’ailleurs déjà explicitement évoquée dans les bonus du Blu-ray, et cela de la bouche même de l’intéressé. Nolan disait déjà à cette époque : « Je veux tourner avec les caméras les plus réalistes qui soient, sans trucages numériques à foison, et ce, afin que le spectateur y croit vraiment, et s'y croit ! » Or, quand on applique cette philosophie-là à Dunkerque ; film essentiellement tourné en extérieur ; film comportant de nombreuses scènes aériennes et nombreuses scènes de combats, qu’est-ce que cela donne de la part d’un esthète comme Nolan ? Cela donne cette idée que l’expérience pour le spectateur ne pourra être optimale que si on utilise au maximum l’IMAX et si on réduit au minimum l’usage d’effets numériques ! L’effet du vrai se doit de passer par la vérité du physique. Le physique de la pellicule, le physique des objets, voire même la réalité physique de la ville de Dunkerque. En ça, le fait d’avoir choisi la plage de Dunkerque, la mer de Dunkerque, et le ciel de Dunkerque pour tourner ce film révèle pour moi totalement de cet état d’esprit là. Il faut que ça fasse le plus vrai possible, et donc il faut que ça passe par le plus de réalité physique possible. Et c’est là pour moi que commence à se replier sur Nolan le piège de Dunkerque

 

Qui dit « réalité du physique » dit « vraie plage », « vrais avions », « vrais bateaux », « vrais hommes »… Ainsi Nolan s’est-il lancé dans un recrutement titanesque de figurants, dans un lourd travail de remise à l’époque des quelques rues de la ville, dans la mobilisation de véritables Spitfires et little ships qui ont participé à la fameuse opération d’évacuation : Dynamo… L’effort est admirable. La démarche l’est tout autant. Mais à vouloir jouer avec le réel, se pose aussi forcément les contraintes de la réalité. Que fait-on à partir du moment où on n’arrive à mettre la main que sur deux Spitfires ? Que fait-on quand on est contraint de bricoler un autre avion pour obtenir un troisième appareil de la RAF tant bien que mal ? Que fait-on quand on ne met la main sur aucun Stuka si aucun Heinkel ? Que fait-on quand la préservation du peu d’appareils qu’on a implique de s’interdire un certain nombre de scènes délicates ? Même question pour les lieux où on tourne : se risque-t-on à retransformer la vraie plage de Dunkerque en ce gigantesque dépotoir à véhicules abandonnés qu’elle fut en juin 1940 ? Se risque-t-on à demander à la ville de Dunkerque s’il existe des rues d’époque où on pourrait démolir quelques maisons afin de reconstituer la violente bataille des faubourgs ? Bref, la vraie grande question que cela pose c’est : « est-ce que tout ce que nous interdit l’exigence formelle voulue par Nolan justifie-t-elle qu’on se prive d’une nuée d’avions, de batailles dans les faubourgs, et d’une atmosphère proche de ce que fut réellement celle de Dunkerque en 1940 ? » Nolan a fait son choix. Il a fait un choix d’esthète. Il a dit « oui ». Le problème, c’est qu’en faisant ce choix là, il s’est posé un certain nombre de contraintes qui – pour moi – n’ont pu que le pousser à la faute sur tous les autres secteurs de sa création… Et c’est là pour moi, que s’est refermé sur lui le « piège de Dunkerque »…

 

 

L’opération sans dynamo…

 

 

« Stop ! » me diront certains, arrivés qu’ils sont à cette étape de mon propos… « Tu fais fausse route la grenouille ! On te voit venir ! Tu vas nous faire tout un tralala de ce qui manque et qui aurait dû être présent dans le film ! Batailles dantesques ! Batailles dans les faubourgs ! Soldats allemands ! Mais hé ho ! Ce n’était pas le sujet du film ! Ce n’est pas parce que le film s’appelle Dunkerque et qu’il se passe en juin 1940 qu’il doit forcément parler de la bataille ! Le sujet revendiqué de Nolan, c’est l’évacuation ! Pas la bataille ! Tu ne peux pas reprocher à un artiste de ne pas avoir fait ce qu’il ne voulait pas faire à la base ! Son sujet, c’est l’opération Dynamo ! De là, quel problème à ce qu’on ne voie pas les Français / les faubourgs / les avions / les croiseurs / les Allemands / etc… ? Ha ! Ha ! On t’a bien coincé n’est-ce pas ?! » …Alors c’est vrai : quand j’ai discuté de Dunkerque avec mon entourage et qu’on m’a envoyé cet argument à la tronche, je dois bien avouer qu’il faisait mouche. Oui, moi le prof d’Histoire, j’attendais à ce qu’un film qui s’appelle Dunkerque et qui se passe en juin 1940 fasse le tour par le menu de tout ce que fut l’épisode de la « Poche de Dunkerque ». Je voulais qu’on me parle de l’encerclement, de la bataille ET de l’évacuation… Là, je n’ai eu que l’évacuation. Mais bon… Mea culpa pourrais-je dire. C’est moi qui ai projeté à tort des fantasmes sur un film qui ne nourrissait pas les intentions que je voulais lui porter. Sur ce point là, je suis prêt à plaider coupable. Et même si j’estime malgré tout avoir été légitime dans cette attente (mais je n’y reviendrai que dans la troisième partie de cet article), je suis quand même prêt à accorder ça à Nolan. Après tout, il fait ce qu’il veut, et il nous fournit le film qu’il veut. En regardant ce Dunkerque, la démarche semblait assez claire. Au lieu de faire un film de guerre sur la bataille, il a plutôt voulu faire un survival via l’épisode de l’évacuation. Soit… Seulement voilà, quand bien même devons-nous accepter les volontés de l’auteur, nous avons aussi le droit de questionner la pertinence et l’efficacité de ces choix. Or, moi je pose une question : « Au final, quel résultat ? »

 

Le film décide de nous faire suivre le parcours de quelques anonymes : quelques soldats coincés sur la plage, quelques pilotes partis pour protéger l’évacuation de l’aviation ennemie, et encore quelques marins civils prêts à traverser la mer pour porter secours… Trois aspects de l’évacuation. Trois lieux. Trois intrigues. Trois temporalités. Où est le dénominateur commun ? Le dénominateur commun c’est l’évacuation. Les premiers en seront les bénéficiaires, les derniers en seront les acteurs, les seconds en seront les facilitateurs. Soit. Ne reste plus qu’à fixer un axe à cette intrigue, ou du moins un angle d’approche auquel l’œuvre va nous inviter. Or, le cheminement choisi par Nolan apparait rapidement être celui du survival. Dès le départ, on découvre un personnage qui se contente juste de survivre et qui s’efforce de trouver une échappatoire dans ce piège à souris qu’est Dunkerque. Il va user de tous les subterfuges possibles pour arriver à ses fins et va bien évidemment devoir surmonter une multitude de difficultés pour y parvenir. D’ailleurs, le final insiste bien sur cette idée que la survie, au fond, c’était l’axe central de l’intrigue. Une fois rentré au pays, le héros anonyme a un peu honte de ne pas avoir participé à la bataille, mais on lui répond que ce n’est pas grave car le véritable enjeu, c’était bien de rentrer vivant. Donc soit, Dunkerque sera un survival, et les obstacles rencontrés par l’Opération Dynamo seront les péripéties alimentant la dynamique de l’intrigue (difficulté d’acheminer des bateaux, pression des Allemands dans les faubourgs, raids des Stukas, compte-à-rebours posé par l’épuisement des réserves, etc…) Soit… Mais dès lors plusieurs questions se posent. Un survival, ça ne fonctionne que par la capacité à faire se projeter le spectateur dans la peau de celui qui doit lutter pour sa survie. Du coup – pour commencer – pourquoi avoir voulu découper l’intrigue en trois ?

 

Réfléchissons deux secondes à tous les survivals que nous avons vus. Non pas qu’on ne puisse pas réinventer les codes d’un genre que nous sollicitons, là n’est pas mon discours. Mais prenons malgré tout ces références juste pour essayer de comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas dans ces films là. Combien de survivals commencent dans trois lieux différents, posant trois problématiques différentes, et selon trois temporalités indépendantes les unes des autres ? …Je vous laisse chercher. Moi je n’en vois aucun. Comment ça se fait ? Eh bien moi je pense que c’est lié au fait que – justement – le survival nécessite une projection rapide du spectateur dans la situation. Il doit identifier rapidement la situation pour rapidement s’y impliquer. Or, dans ces cas-là, plus on fait simple et standard au début, et plus on a de chance d’y parvenir. Ce sont les péripéties et la prégnance de l’univers qui feront le reste du travail par la suite. D’ailleurs, en cela, je trouve que le début de Dunkerque est très efficace. Rapide, direct, complet. Ce début pose très vite la situation, les lieux et les acteurs : l’étau allemand dans le dos du personnage principal, le barrage français qui va devoir tenir pour empêcher l’ennemi de fondre sur lui, puis le guet comme possible voix de sortie mais aussi impasse pour le moment. Ajoutons à cela le passage d’un premier Stuka et on a tout ce qu’il faut pour fixer les enjeux. Chouette. Mais pourquoi diviser derrière ? Comment espérer faire monter une tension si, par deux fois, le scénario se risque à repartir d’une situation initiale – qui plus est une situation initiale apaisée puisque ni les marins ni les pilotes ne sont vraiment agressés ? Pour le coup, cette mécanique est totalement contreproductive pour un survival. On peut suivre plusieurs personnages qui auront chacun un parcours individualisé dans un survival. Oui, ça c’est faisable. C’est même une mécanique assez courante : « faisons des groupes de un pour explorer cette maison hantée… » Seulement ça marche quand on utilise une logique arborescente. Au départ on a un groupe unique confronté à une situation unique, puis on fait diverger des branches afin de découvrir toute la diversité de cette seule et unique menace qui pèse sur le groupe de personnes dans lequel on se projette. Là, Dunkerque n’a pas recours à une progression en arbre, mais plutôt une progression en entonnoir. Il nous présente trois situations qui n’ont rien à voir et c’est à la fin qu’ils vont former un tout. Ça, pour le coup, ce n’est pas une mécanique de survival. C’est une mécanique de film policier ou de thriller. Ça marche quand il y a un mystère à résoudre. Ce n’est pas le cas de Dunkerque. Casser en trois la dynamique d’un survival dès le départ, c’est le meilleur moyen de casser sa dynamique et surtout le pouvoir d’immersion. Alors quand en plus on décide de ne nommer personne et de ne rien faire dire de singulier de ces personnages, forcément ça n’aide pas…

 

Des lors on pourrait se demander pourquoi Nolan accomplit une telle erreur ? Soit il fragmente son intrigue en trois pour donner du rythme autour d’un mystère, soit il veut donner une dynamique de survival et dans ce cas il lui faut un axe unique qui est stimulé par des péripéties… Là, ni l’un ni l’autre. Pourquoi ? Moi je suis vraiment ouvert à toutes les pistes là-dessus. J’en connais certains qui défendent ce choix narratif et qui disent même que la narration est plus intéressante que l’esthétisme du film. Soit, mais moi il va falloir m’expliquer ça autrement que par de simples superlatifs parce qu’en attendant j’ai vraiment une explication qui me saute à la figure. Cette explication repose sur une logique tout ce qu’il y a de plus simple. Si Nolan veut respecter les codes d’un survival efficace, alors il va devoir se construire une intrigue linéaire. Or, s’il veut que cette intrigue linéaire soit efficace, il va falloir qu’il la nourrisse de péripéties impactantes et d’une atmosphère oppressante et dynamique. Ça veut dire « étau », puis « faubourg », puis « plage », puis « premier bateau », « torpillage », à nouveau « plage », « tension croissante », « nouveau bateau », etc… Jusqu’à la sortie. Bref, comme dans cette configuration on était au cœur de la guerre, il fallait donc du combat, des avions, des croiseurs qui s’échouent (comme lors de la vraie bataille en somme). Il fallait un ciel qui se noircit progressivement, une plage qui se transforme progressivement en véritable apocalypse… Bref, il fallait laisser de côté les scènes d’avion (ou bien les introduire dans le fil narratif différemment), et surtout avoir recours aux effets spéciaux numériques à foison ! En faisant ça, Nolan aurait pu faire un survival vraiment efficace qui – en plus – aurait été un excellent film sur Dunkerque. Mais non… Nolan ne voulait pas faire comme tout le monde. Il voulait faire son esthète. Il voulait ses scènes d’avions. Il voulait aussi que tous ses little ships ne soient pas mobilisés que pour un seul et unique plan. Alors il fragmenté son histoire pour caser tout ce qu’il voulait / devait mettre pour justifier son projet et ses exigences formalistes. Pour moi, cette fragmentation de l’intrigue n’est justifiée que par ça. Ainsi, l’exigence formelle aura-t-elle tué l’exigence narrative… Et ce n’est pas la musique d’Hans Zimmer diffusée en continu qui pourra cacher ça…

 

 

 

L’histoire sans Histoire…

 

 

 

Alors certes, moi je veux bien reconnaître tout ce qu’apportent l’IMAX et l’absence globale d’effets numériques à ce film. Oui, il y a des scènes qui esthétiquement sont merveilleuses et qu’il aurait bien été dommage de ne jamais les voir. C’est vrai. Et du coup je comprends que certains passent les questions de rythme ou d’intrigue aux oubliettes, voire même qu’ils les cautionnent et en vantent les mérites ! C’est vrai qu’au fond, on peut tout dire quand il s’agit de parler de la pertinence des choix d’un auteur à partir du moment où le résultat final nous a plu. Oui, on peut… Seulement, on ne me fera pas dire que cette exigence formelle ne se fait pas au détriment d’autres exigences. Et si la question de la structure narrative pourrait encore faire l’objet d’un débat, il me semble par contre qu’il y a un point sur lequel il n’existe aucune équivoque. C’est ce point qui – selon moi – révèle toutes les carences qu’a eu Nolan sur ce film en termes d’exigence de fond. Ce point, il tient un mot. Il s’agit d’ailleurs du titre du film. Dunkerque

 

 

 

Quand on décide d’appeler son film Dunkerque, ce n’est pas anodin, surtout quand un petit carton d’introduction nous signifie bien qu’il entend nous plonger dans la Dunkerque encerclée de juin 1940 ; la fameuse « Poche de Dunkerque ». Dunkerque ce n’est pas un titre creux qu’on peut construire et forger à l’envie au fur et à mesure du film. Dunkerque ce n’est pas Memento, Le Prestige ou Inception, c’est-à-dire un mot qui ne prendra du sens qu’au fur et à mesure de l’intrigue. Non. Dunkerque, c’est comme Batman Begins. On ne va pas voir un film intitulé Batman en étant vierge d’imageries et de sens. Batman a une histoire, un univers, une iconographie… Chacun de ces points appelle à des obligations qui, si elles ne sont pas respectées, seront considérées comme des trahisons à l’égard du sujet. C’est exactement la même chose pour Dunkerque. Cet épisode de la seconde guerre mondiale, il a une histoire, il a des lieux, il véhicule des images, il dit quelque-chose du conflit dans lequel il a lieu comme il dit quelque-chose d’une époque. On ne peut pas faire n’importe quoi avec. Ce serait comme un Star Wars sans Jedis, ni force, ni espace intersidéral… Ce n’est pas interdire à un auteur de faire preuve d’audace vis-à-vis de ces univers. Non, c’est juste considérer que lorsqu’on intitule son film Star Wars, Batman ou Dunkerque, on signe un contrat tacite avec le spectateur ; un contrat qui nous engage à respecter le matériau de base et ne faire preuve de créativité que dans un cadre bien précis. Si créativité il doit y avoir, elle doit s’opérer dans ces bornes là et pas en dehors…

 

 

 

Alors en disant cela, j’ai bien conscience que je viens là ouvrir un épineux débat sur la liberté qu’a un auteur de transgresser et de se réapproprier un objet culturel déjà existant. C’est une question qui se pose souvent quand on aborde la question d’une adaptation d’un roman au cinéma ou bien encore de la reprise d’une franchise connue. A dire vrai la question se pose souvent. Après tout, les biopics ou bien encore les films tirés de faits divers ne rentrent-ils pas eux aussi dans ce cas de figure ? L’événement historique n’échappe pas à la règle. Or il est vrai que souvent – et je fais souvent partie des premiers à le faire – on reproche à un auteur sa frilosité, son manque d’audace, sa simple mise en image de l’œuvre originale… Seulement voilà, si ce genre d’exercice est bien un délicat jeu d’équilibrisme entre respect du matériau de base et nécessaire créativité, Nolan n’en est pas moins un réalisateur aguerri dans le domaine puisqu’il s’est déjà risqué à trois reprises à cet exercice : je fais bien évidemment référence à sa trilogie Batman. . Et si, certes, Nolan avait pris ses libertés pour satisfaire ses propres exigences dans cette trilogie, il n’en avait pas moins respecté les éléments-cadres qui étaient indispensables à l’univers Batman. Pour Dunkerque, malheureusement, le contrat n’a pas été rempli de la même manière. Parce que si on peut très bien dire « je ne m’occupe pas de la bataille et je me focalise que sur l’Opération Dynamo » (là n’est pas le problème), on ne peut pas, par contre, laisser une plage de Dunkerque totalement nickel. Ça, c’est sacrilège. De même, quand on laisse à l’image des velux, des lampadaires ou toute la ZIP parce qu’on estime qu’une retouche numérique ne rendra pas joli, pour moi c’est comme laisser les transports urbains de Chicago se balader en arrière-plan du tournage de Batman Begins… Et que dire d’une bataille aérienne avec seulement une demi-douzaine d’avions et aucun croiseur échoué sur la plage ? Pour moi c’est l’équivalent d’une Gotham City sans super-vilains ! Alors oui, ça pourrait être très beau visuellement de voir un Batman en costume blanc faire la circulation à Gotham au beau milieu de ses jolis bus arborant les couleurs d’une métropole du Michigan – surtout si c’est tourné en IMAX et sans éléments numérisés ! – mais en toute honnêteté, vous ne trouverez personne pour vous justifier le fait qu’on ait à ce point foulé au pied l’univers de Batman

 

 

Alors attention, je ne suis pas en train de dire que l’Histoire est un territoire sacré sur lequel les cinéastes n’ont que peu de libertés. Oh que non ! Loin de là ! Après tout, dans son Inglorious Basterds, Quentin Tarantino fait bien mourir Hitler en pleine salle de cinéma ! Idem, dans Invasion Los Angeles, Ronald Reagan n’est rien de moins qu’un extraterrestre ! Enfin, que dire du traitement de la bataille des Thermopyles dans le film 300 de Zack Snyder ? S’est-on choqué de l’intervention de créatures fantastiques durant les combats ? Non. Ça n’a même posé aucun problème à personne. Pourquoi ? Eh bien je pense que c’est tout simplement lié aux codes de narration utilisés. Les trois cas évoqués précédemment entraient tous dans un registre où la démesure et la transgression étaient admises : comédies, science-fiction aux intonations de série B, épopées antiques… Même Lego a pu s’octroyer davantage de libertés que Nolan sur l’univers Batman ! Et cela, ce fut juste parce qu’il s’est orienté vers la parodie. Dunkerque n’est pas une parodie. Ce n’est pas une comédie. Ce n’est ni un film fantastique, ni un film de science-fiction. Dunkerque s’affiche comme un survival qui a des prétentions en termes de reconstitution réaliste. A partir de là, le sujet impose ses contraintes. Il en impose autant que les désirs de l’auteur à faire le film le plus beau esthétiquement parlant… Et quand on constate qu’au final, les exigences esthétiques l’ont emportées sur les exigences du sujet, au point que la Bataille de Dunkerque se retrouve carrément éclipsée de l’intrigue, là on est clairement en droit d’y voir un problème…

 

 

 

Conclusion : Dunkerque et sa bataille, une équation irréductible ?

 

 

 

Au final, en choisissant de faire un film sur Dunkerque, Nolan n’avait-il finalement pas le choix ? Lui qui voulait manifestement faire un film qui ne ressemble pas à n’importe quel autre film de guerre, était-il piégé depuis le départ et contraint de respecter les codes qu’on attendait de lui ? A dire vrai non. Je pense sincèrement que Nolan était totalement légitime à faire son Dunkerque ainsi, tel qu’il l’a fait et tel qu’on l’a vu. Mais pour cela il fallait juste changer un simple petit détail lourd de conséquence. Il suffisait juste de ne pas appeler son film Dunkerque ! Après tout : si son trip était juste de faire voler des Spitfires, mais alors qu’il appelle son film Spitfire, qu’il fasse combattre ses coucous dans une bataille non identifiable et puis voilà ! That’s it ! Ainsi, il n’avait plus besoin de mobiliser toute une plage ; de machicoter son intrigue pour qu’elle corresponde plus ou moins à ce qu’a été l’Opération Dynamo ; ou bien encore de pondre un discours de Churchill qui tombe comme ça à la fin comme un cheveu sur la soupe ! Bref, il faisait ce qu’il VOULAIT. Ainsi se serait-il sûrement mis dans la même poche (…de Dunkerque ! ha ha !) tous ceux qui ont apprécié la démarche visuelle et tous ceux qui lui ont reproché son traitement fantaisiste et lacunaire de l’événement…

 

 

 

En disant cela, je n’entends pas retirer le droit à l’auteur de faire les choix qu’il veut et de les faire comme il le veut. Non. Je dis simplement qu’on ne peut pas additionner tout avec n’importe quoi. Faire un film, au fond, c’est une équation qui, à la fin, doit trouver son équilibre. On peut décider de faire un survival à Dunkerque et avec une véritable exigence formelle. Pas de souci ! Mais si ce niveau d’exigence implique l’abandon d’une bonne partie de l’atmosphère et des événements qui font la bataille de Dunkerque, alors il faut savoir faire des choix dans ce qu’on retire dans l’équation. Soit on retirait le survival, soit on retirait l’exigence formelle, soit… on retirait l’épisode de la Poche de Dunkerque, tout simplement ! Car au final, quoi de plus triste qu’un film qui s’intitule Dunkerque et dans lequel la bataille du même nom n’a même pas eu lieu ?

 

 

Du coup, au fond, il n’est finalement pas si étonnant que cela que les débats qui ont tourné autour de Dunkerque aient été aussi fragmentés ou bien aussi orientés sur les seules questions techniques. Parce qu’au fond, si Dunkerque est aujourd’hui l’objet bizarre qu’il est, c’est avant tout parce qu’un auteur a voulu privilégier son exigence visuelle au détriment de beaucoup trop d’autres choses. Alors oui, quand on aime ce film – et on a le droit – mais qu’on se rend quand même compte que quelque-chose cloche, il faut bien le justifier. Il faut bien l’expliquer… Du coup on le justifie à coups de paris techniques fous, d’IMAX, ou de je ne sais quoi d’autres… Après tout pourquoi pas… C’est peut-être aussi cela la beauté du cinéma. La beauté d’un art qui fait qu’on peut se satisfaire que la bataille de Dunkerque n’ait au final pas eu lieu…

 

 

 

 

 

 

 

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