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4 mai 2018 5 04 /05 /mai /2018 17:56

 

Je l’avoue : il vous sera très facile pour vous de m’accuser d’arriver bien longtemps après la bataille. En effet, au regard de la date de parution de cet article (le 4 mai 2018), cela fait maintenant plus d’un mois que le dernier film de Steven Spiedlberg est sorti dans les salles et cela fait tout autant de temps qu’il défraye la chronique. Je pourrais m’attarder sur la presse « papier » traditionnelle qui le présente tantôt comme un « véritable coup de boule adressé à l’industrie de la nostalgie » (Ecran large). et tantôt comme un « hommage à la pop-culture […] où chaque plan déborde d’idées » (Journal du Dimanche). Je pourrais aussi m’attarder sur les principales figures de l’Internet français qui se sont longuement exprimées dessus, parfois avec réserve mais bienveillance comme ce fut le cas du binôme Joueur du Grenier ; parfois avec curiosité et attachement comme ce fut le cas du Fossoyeur de films, quand ce n’est pas – carrément – avec transe et adoration comme ce fut le cas d’In The Panda. Bref, en mal mais surtout en bien, ce film a fait parlé de lui. Certes, au regard de ce flot, de réactions, ce film ne se distingue pas tant que cela d’un bon vieux MCU / DCEU ou autre Star Wars qui, eux aussi, ont pour habitude de générer le même type de déluge. Pourtant, d’un autre côté, je ne peux m’empêcher de voir dans ce cas particulier quelque-chose que je trouve au fond très révélateur, et que ce Ready Player One met encore plus en exergue que tous les autres cas précités. Mieux encore, je trouve qu’il parvient à incarner à lui seul une sorte de zeitgeist : un « esprit de son temps ». Ainsi, j’ai certes mis un certain temps à décanter la chose, mais aujourd’hui j’estime avoir suffisamment de recul pour poser plus clairement ce que je vois dans ce phénomène. Du coup, difficile pour moi de rater cette occasion de dépoussiérer un peu ce blog qui aime tant sommeiller, souvent des mois durant…

 

 

Alors qu’est-ce que je compte bien vous dire sur ce film qui n’ait pas déjà été dit ? C’est vrai qu’à ce petit jeu là, arriver après la bataille cela peut vite se révéler contre productif tant on risque d’être redondant avec ses prédécesseurs. Moi-même j’avais déjà rédigé une critique assez longue (comme souvent) au ressortir de mon visionnage ; critique dans laquelle j’estimais avoir déjà dit l’essentiel de mon ressenti à l’égard de ce film… Ma préoccupation première sera donc de ne pas me répéter. Loin de moi l’envie de vous livrer à nouveau ce que j’ai perçu de ce Ready Player One, en vous listant ce qui m’a plu et ce qui m’a déplu. De la même manière que je ne chercherai pas non plus à vous convaincre du bien-fondé de mon ressenti sur celui des autres en m’appuyant sur toute une batterie de démonstrations savantes et argumentées. Non. A dire vrai, ce qui m’intéresse davantage ce coup-ci c’est plutôt qu’on se pose la question de ce sur quoi repose le « phénomène » Ready Player One. Car ce qui a fini par me surprendre dans la manière de chacun de parler de ce film – que ce soit pour l’encenser que pour s’en faire le détracteur – c’est la nature des arguments employés et les scènes systématiquement citées. J’y ai vu là-dedans un schéma se reproduire qui, à mon sens, dit à la fois beaucoup de choses sur le film, mais en même temps dit aussi beaucoup de choses sur ce qu’est devenu aujourd’hui le cinéma grand spectacle hollywoodien. Bien évidemment, libre à vous de ne pas partager les conclusions tirées, mais dans ce cas-là, ne vous privez pas de lâcher un petit commentaire pour qu’on fasse avancer tous ensemble le schmilblick. Autre évidence à évoquer aussi d’emblée : ça va spoiler sans vergogne, donc vous voilà prévenus…

 

 

 

L’art des gentlemen cambrioleurs…

 

S’il y a bien une scène qui revient en boucle dès qu’il s’agit de vanter les mérites de ce Ready Player One – que ces commentaires viennent des afficionados qu’ils viennent de ses détracteurs – c’est la fameuse scène se déroulant dans Shining, le long-métrage de Stanley Kubrick. Beaucoup ont loué la méticulosité de Spielberg ; la qualité de la reconstitution ; l’intelligence de l’immersion. Je reprends pêle-mêle les arguments qui ont circulé sur la question et contre lesquels je n’aurais d’ailleurs rien à redire. C’est vrai que la reconstitution est bluffante. Même hôtel ; mêmes objets ; même détails. Tous les éléments clefs du film sont condensés dans cinq-dix minutes très efficaces. La machine à écrire. Les petites jumelles. La chambre 237. Le labyrinthe. Jusqu’à la coulée de sang venant de la porte de l’ascenseur qui respecte quasiment à la perfection la trajectoire du film original. Quiconque a vu Shining ressent des petits frissons d’allégresse face à ça. D’ailleurs, je pense que même ceux qui n’ont pas vu Shining ressentent eux aussi des frissons d’allégresse. C’est que, comme le disait justement le Fossoyeur de films, Spielberg a astucieusement anticipé ce cas de figure. Il pose d’emblée le film comme un mythe iconique, mais il a tout de même inséré dans son intrigue un personnage qui n’a jamais vu le chef d’œuvre de Kubrick. Ainsi le spectateur a le choix de sa posture : soit celui du connaisseur qui admire la reconstitution ; soit celui du novice qui découvre ce décorum si singulier pour la premier fois. C’est vrai que c’est très malin, très bien mené, et qu’au fond il n’y a rien d’étonnant à ce que cette scène soit devenue la scène culte de ce film ; tellement culte que je n’ai d’ailleurs pas souvenir avoir entendu quelqu’un en dire du mal… Alors bon. Que dire de plus ? N’est pas là une preuve du génie de Spielberg et de l’indéniable qualité de son Ready Player One ? Eh bien justement je pense que non. Au contraire même, je pense que cette seule scène suffit à résumer l’art de Spielberg dans ce Ready Player One. Or, pour moi, ce n’est rien d’autre que de l’art de « gentleman cambrioleur. »

 

Parce que oui, je pense que le temps est venu de se poser une question à l’égard de cette scène. La question n’est plus de savoir si cette scène fonctionne et si elle plait. Visiblement, à cette question, la réponse est positive dans une grande majorité des cas. Non. Moi la question qu’il me semble plus pertinent de poser dans ce cas là c’est « pourquoi plait-elle ? » J’orienterais même plus la chose en formulant la question de la manière suivante : « d’où vient le plaisir que nous procure la scène de Shining dans Ready Player One ? Le plaisir vient-il réellement de Ready Player One ? …Ou bien le plaisir ne vient-il pas plutôt de Shining ? Quand un fan de Shining a soudainement le frisson dès qu’il entend les premières notes de musique de Wendy Carlos et Rachel Elkind quand les protagonistes rentrent dans l’Overlook Hotel, ce frisson peut-il être mis au crédit du film de Spielberg ? A la base, s’il y a frisson, c’est qu’auparavant il y a eu chez ce spectateur, un jour, un frisson devant Shining. Et ce qu’il y a de fort d’ailleurs, c’est que ce frisson peut aussi s’étendre aux non-initiés car Shining dispose d’une telle aura dans la culture de notre société que même celui qui n’a pas vu le film en a forcément entendu parlé. Cet aura agit sur lui, presque automatiquement. C’est ce que j’ai aimé appeler l’effet « Chapelle Sixtine » dans un précédent article. Shining fait partie de ces œuvres qui ont un tel enracinement dans la culture populaire qu’il suffit de les solliciter pour lever les foules. De là, se pose du coup irrémédiablement la question. Quelle part Spielberg joue-t-il vraiment dans le plaisir que l’on prend face à Shining ? Certains me répondraient certainement que ce genre d’emprunt n’est pas si évident que cela et que d’autres, certainement, s’y seraient cassé les dents. Oui sûrement. C’est vrai que tout le monde n’aurait pas eu le talent de Spielberg à respecter scrupuleusement l’œuvre, à la reproduire avec exactitude et à en cerner l’esprit fondamental. Soit. Mais ce talent là, n’est-ce pas là simplement le talent du moine copiste ? Certes, savoir reproduire à la perfection est un talent que tous ne peuvent revendiquer. Combien seraient capables de reproduire les plus grands chefs d’œuvre de la musique classique, que ce soit au piano ou au violon ? Ils sont d’ailleurs beaucoup, prêts à se déplacer à l’opéra pour voir des artistes reproduire la création d’un autre. Mais n’y a-t-il pas là justement une distinction à opérer entre le créateur qui génère l’œuvre et le technicien habile et méritant qui se contente de la rejouer ? C’est là pour moi que se trouve justement tout l’intérêt de la question. C’est là pour moi que se trouve notre impérieuse nécessité de regarder l’art de Spielberg pour ce qu’il est (dans ce film j’entends) : non pas un art de la création, mais un art subtil de la reproduction. C’est en cela que je me plais à le qualifier ici de « gentleman cambrioleur »…

 

« Gentleman » oui, car l’ami Steven rend hommage en respectant l’œuvre de base. Mais « cambrioleur » tout de même car il donne l’illusion d’avoir créé quelque-chose alors qu’en fait tout son art n’est qu’un simple art d’assemblage. Je disais pour commencer cette partie que la scène de Shining était sûrement la scène culte du film. Mais à dire vrai j’aurais dû aussi utiliser le terme de scène-clef, parce que c’est cette scène qui résume au mieux tout ce sur quoi repose ce film. Ready Player One est un gigantesque megamix de vieux tubes du cinéma, de la musique et du jeu-vidéo. C’est le Pitt-bull (pour ceux qui se souviennent encore de ce DJ du début des années 2000) du blockbuster US. Au fond, on vibre non pas de ce que Spielberg a créé. On vibre de ce que Spielberg sollicite de nos vibrations passées et construites par d’autres œuvres. Son intro est vibrante parce qu’elle ouvre sur du Van Halen. Sa course est mémorable parce qu’elle imbrique DeLorean, King-Kong et moto d’Akira. Le combat final nous réjouit parce que s’y retrouvent réunis un Géant de fer et un robot Gundam… Tout l’édifice de ce film ne repose que là-dessus. Retirons les milliers de goodies et plus aucune scène se peut se justifier, à la fois dans sa structure que dans sa longueur. Alors encore une fois, cela ne retire rien au fait qu’on prenne du plaisir face à ces scènes. Mais il me parait essentiel de comprendre que le plaisir pris est ici avant tout une série de sollicitations d’émotions anciennes plutôt que l’élaboration d’émotions nouvelles… Alors certes, on pourrait me répondre : « D’accord et alors ? A partir du moment où il y a du plaisir, où est le mal ? » Eh bien justement, j’y arrive…

 

 

 

L’art de la sollicitation permanente…

 

Oui, je pense qu’on peut le dire sans trop se tromper : Ready Player One a posé comme principe fondamental de sa mécanique la sollicitation systématique de référents à forte charge émotionnelle. En ce sens, ce film est dans une démarche quasi orgiaque. Et après tout pourquoi pas ? La Warner, qui produit et distribue le film, a les moyens de solliciter un large panel de licences. Et de son côté Spielberg avait visiblement pour ambition dans son propos de montrer toute la richesse de la pop-culture. Donc why not ! Ce n’est pas parce qu’un concept est simple – qu’il ne nécessite que peu ou prou d’esprit créatif – qu’il est à brimer ! Une orgie après tout, de temps en temps ça ne fait pas de mal, même s’il n’y a rien de vraiment nouveau là-dedans ! Après tout, si le plaisir est là au final, où est le problème ? Eh bien justement, pour moi il y a un double problème là-dedans. L’un de ces problèmes dépasse pour moi le cadre du seul Ready Player One et donc je n’en parlerai que dans la partie suivante. Par contre, on peut très bien traiter de l’autre souci en se contentant d’observer les dégâts de cette stratégie sur la structure globale de ce film en particulier. Parce que oui, il y a pour moi un réel retour de bâton à vouloir construire tout son film sur de la sollicitation permanente de référents à forte charge émotionnelle. Car le problème de cette méthode, c’est que pour qu’elle fonctionne vraiment sur le spectateur – pour que l’émotion soit là tout le temps sans gueule de bois – il faut justement que la sollicitation soit totale et permanente. Le film doit être construit comme une gigantesque machine à générer de l’émotion. Car si jamais l’émotion retombe, le spectateur passe alors dans un autre mode. Et au cinéma, il n’y a pas trente-six attitudes qu’il est possible d’adopter. Si on n’est pas dans un processus d’émotion, alors on est soit dans un processus de réflexion / élaboration, soit on est dans un processus d’ennui. Or, l’ennui c’est l’ennemi à surtout éviter… Mais pire, la réflexion peut elle aussi devenir un ennemi… Et c’est là pour moi que se trouve le réel problème.

 

A la base, certes, la réflexion, le questionnement, le travail d’élaboration d’un espace virtuel dans l’esprit d’un spectateur ne me paraissent en rien incompatibles avec la genèse d’une émotion. On l’a bien vu dans Shining, Akira, le Géant de fer ou bien dans pas mal d’autre film cités par Ready Player One, la phase d’exposition de l’intrigue, ou « situation initiale » comme on disait il n’y a encore pas si longtemps, peut-être déjà source d’émotion en soi. Si on prend le cas de Shining par exemple, l’effet est quasiment immédiat. Dans ce film, on capte l’attention du spectateur en opposant dès l’introduction un cadre inquiétant d’un côté et l’insouciance apparente des personnages qui s’y rendent de l’autre. L’esprit du spectateur anticipe ce qu’il risque d’advenir ; son travail d’élaboration le grise déjà. Même chose dans le Géant de fer où on commence directement avec le crash d’un corps céleste sur Terre qui se révèle vite être un géant aux yeux lumineux mais aux contours encore bien peu définis. Ici, l’effet de mystère induit peut aussi avoir quelque-chose d’immédiatement grisant. Il est grisant pour ce qu’on projette pour la suite du film. Il est grisant par rapport à cette frustration générée par le mystère mais qu’on saura bientôt satisfaite… Beaucoup de films de Spielberg fonctionnent d’ailleurs selon ce modèle-là. Les Indiana Jones, Rencontre du troisième type, ou bien encore Arrête-moi si tu peux… Mais pas Ready Player One. La logique de Ready Player One est de générer de l’émotion tout de suite non pas en sollicitant les attentes et le travail d’élaboration du spectateur, mais en sollicitant des référents qui, par leur simple sollicitation, génèrent de l’émotion. Chez d’autres c’est la bonne vieille ouverture sur la scène de baston ou de course-poursuite. Là, c’est l’ouverture sur Van Halen et Minecraft. L’émotion du spectateur ne se construit pas face à l’œuvre. On va juste réveiller l’émotion qui a été construite préalablement par l’œuvre sollicitée. C’est un choix parmi les différentes façons d’amener le spectateur jusqu’à l’émotion. Mais le problème de ce choix, c’est que c’est un choix à la logique perverse…

 

On ne va pas se mentir : il y a un véritable avantage à la sollicitation d’émotion plutôt qu’à la génération d’émotion. L’avantage, c’est que c’est plus facile. C’est plus sûr aussi parce que c’est ce qui marche le mieux sur un spectre large de spectateurs. Parce que oui, prenons le temps de la réflexion. Dans les faits, on n’est pas tous égaux dans notre capacité à nous projeter ou à jouir de notre anticipation des codes de narration d’un récit. Certains ont un temps de concentration plus réduit. D’autres ne connaissent pas suffisamment les codes pour les identifier… Alors que des bagnoles, des flingues, des boobs ou une bonne grosse guitare, ça, ça remet tout de suite tout le monde sur un pied d’égalité. Prendre le risque de construire une intrigue, c’est prendre le risque de perdre des gens en route. C’est prendre le risque de faire des mécontents. Alors que l’avantage de la sollicitation de référents à charge émotionnelle, c’est que ça a un effet immédiat, et que si on sait y mettre la quantité, ça finit forcément par toucher tout le monde. Si dans les deux premières minutes il y a déjà une dizaine de sollicitateurs qui sont tombés, alors il y a en aura forcément bien un ou deux qui vont fonctionner sur vous. Soit ce sera l’action, soit la bombasse, soit le référence rétro qui fera le boulot telle une mécanique de réflexe pavlovien. L’important devient dès lors de ne laisser personne sur la touche. Donc plus on met de sollicitateurs différents – de stimili ! – plus ça aura de chance de marcher …et sur un large panel de spectateurs en plus ! Ainsi, dès qu’on a fait le choix de cette logique, forcément on se retrouve contraint de l’appliquer partout à tout bout de champ. Ainsi, les phases d’exposition ou de construction de l’intrigue peuvent devenir de vraies ennemies. S’il faut arrêter de solliciter sensoriellement les gens pour commencer à leur expliquer des trucs, cela pourrait faire retomber la hype. Pire, la réflexion pourrait amener le spectateur à questionner l’édifice scénaristique, ce qui n’est pas le but. On a engagé suffisamment de pognon en effets spéciaux et en achat de licence pour tout risquer sur une scénario qui pourrait diviser ou dysfonctionner. Donc dans ce cas là : non. Les phases d’exposition se doivent du coup d’être aussi des phases de sollicitation ! Vous allez me dire que rien n’empêche avec un peu de talent de gérer les deux enjeux. C’est vrai. Mais ce n’est clairement pas le parti qui a été pris dans Ready Player One.

 

A dire vrai, s’il y a un aspect du film qui démontre à quel point la stimulation l’a emporté sur la construction, c’est tout ce qui concerne l’intrigue dans le monde réel de ce Ready Player One. Quand on vire tous les passages qui se déroulent dans l’Oasis et où se concentrent toutes les références sollicitatrices, que reste-t-il ? On commence par nous parler d’un monde surpeuplé où les gens fuient leur réalité devenue nauséabonde. On nous montre que ces gens vivent dans la plus grande des pauvretés. On nous montre des bidonvilles sans foi ni loi, où des drones d’une corporation peut tuer impunément en mode « OCP » dans Robocop. On nous expose des problématiques telles que l’asservissement des populations qui essayent de gagner de l’argent virtuel pour acquérir des richesses virtuelles ; mais aussi tel que le jeu trouble des identités virtuelles et ce qu’elles pourraient cacher ; mais encore telle que la reproduction des structures inégalitaires du monde réel dans le monde virtuel… Or, bien que le film ait posé de tels cadres, il va néanmoins passer tout le reste de son temps à se dédire ou – pire – à se contredire. Les bidonvilles étaient présentés comme sans foi ni loi ? Qu’importe ! La police viendra quand même rétablir l’ordre à la fin ! Les gens fuyaient leur réalité parce qu’elle était invivable ? Qu’importe ! Le message de fin ce sera : « déconnectez-vous de temps en temps parce qu’il y a vraiment des bonnes choses à vivre dans le réel ! » Et tant pis si certains dépendaient économiquement de leurs activités virtuelles ! On nous disait de nous méfier des identités virtuelles ? Eh bah en fait on a eu tort ! Parce qu’au final, les bombasses restent des bombasses ! Les Chinois restent des Chinois ! Et les Japonais restent des Japonais ! Ce scénario n’a aucune rigueur. L’univers qu’on nous présente n’a aucun sens. Mais le pire, c’est que ça ne dérange pas tant de monde que ça ! Les détracteurs du films sont effectivement les premiers à vous en parler. Et cela sûrement parce qu’ils se sont efforcés d’appréhender les phrases d’exposition… bah comme des phases d’exposition ! Les adorateurs du film, par contre, quant à eux, ne vous parleront même pas de ces moments là du film. Eux ils vous parleront de Shining, du Géant de fer et autres…  Eux ils ont pris la phase d’exposition pour ce qu’elle était vraiment dans ce film : c’est-à-dire des moments comme tous les autres du film ; bref des moments gorgés de stimuli ! Tant mieux pour eux me diriez-vous ! Certes, mais le problème, c’est qu’en entérinant ce procédé, il me semble qu’on entérine à la fois la paresse intellectuelle, mais pire aussi, on entérine la mort de la création… Et là encore, je m’explique…

 

 

 

L’éloge à la paresse…

 

Au bout du compte, ce sera certainement cela qui me dérangera le plus. Qu’on prenne du plaisir face à ce film : tant mieux. Par contre le problème c’est que Ready Player One est à voir dans un système. Et c’est cela l’autre problème que je vous évoquais plus tôt. Ready Player One n’est pas seul. Ready Player One est à la fois le symptôme et le générateur d’une mécanique qui participe clairement à l’effondrement du grand Hollywood. Il fait partie de ces films qui sont arrivés au point de se dire que « l’incohérence d’une œuvre, ce n’est finalement pas un problème. » Il acte le fait qu’il est désormais superflu de chercher à créer des espaces d’élaboration mentale pour les spectateurs. Et ça se comprend. Ça a sa logique. Le problème des espaces d’élaboration, de construction et de réflexion, c’est qu’ils contribuent à maintenir le spectateur actif pendant le film. Or, maintenir des spectateurs éveillés, ça fait d’eux des spectateurs exigeants. Ils demandent à ce qu’on les berne mieux que ça lors du prochain film. Bref, les spectateurs actifs, ils nécessitent du travail, de l’investissement et surtout des risques. Face à cela, on comprend la préférence des grosses productions pour le simple enchainement de stimuli émotionnels. Les gens sont contents des émotions qu’on a réveillées chez eux… Pas de celles qu’on a générées. Ils sont contents de revoir ce qu’ils connaissent déjà, se contentant simplement d’un angle de vue nouveau. Parfait ! Pas besoin de créer du coup. Il suffit juste de ressortir le catalogue et de ne penser les films que comme de simples sollicitateurs de références ! Et s’il y en a quand même quelques-uns pour penser que Ready Player One n’est qu’un cas isolé – que c’est un one shot sympa qui n’a pas vocation à se reproduire – détrompez-vous ! Ils le font déjà ! Ils le reproduisent déjà ! Pas centaines ! Et ils le font depuis dix ans !

 

Parce que bon : sachons nous poser les bonnes questions par rapport aux dernières grosses productions. Exemple de question : c’est quoi Pixels si ce n’est un Ready Player One avant l’heure ? C’est quoi le Marvel Cinematic Universe si ce n’est un Ready Player One restreint au seul univers des comics Marvel ? C’est quoi les Last Jedi, Jurassic WorldJumanji, Godzilla, RoboCop, Total Rekall, Ghost In The Shell 2017, Blade Runner 2049 si ce n’est autant de Ready Player One centrés sur d’autre univers restreints ? Vous allez me répondre : ce n’est pas nouveau ! Ce n’est pas d’hier qu’Hollywood et d’autres cinémas cherchent à exploiter un filon qui marche. Ça a toujours existé ! Eh bien à cela je réponds : « faux ! » Avant, quand on voulait exploiter un filon, on faisait une suite. On faisait Predator 2, on faisait Rambo III, on faisait Rocky IV,  on faisait Star Wars V, on faisait Saw VI ou bien encore on faisait Police Academy VII ! Aujourd’hui, on fait des reboots à tout va, au point que Spider-man voit sa franchise redémarrée trois fois en moins de vingt ans ! Mais le pire dans tout ça, c’est qu’on reboote toujours de la même manière ; toujours selon le même nouveau modèle : c’est le modèle Ready Player One ; c’est-à-dire le modèle où le stimulus doit l’emporter sur la réflexion. Ainsi se retrouve-t-on avec des MCU et autre DCEU ou chaque scène est pensée pour caser des références à tous les albums possibles. Ainsi tout devient justifié. Un personnage est risible ? Ouais mais ça fait référence à tel personnage dans tel album de 1972 ! Il était déjà risible de la même manière à cette époque, donc ça passe ! Une intrigue est ridicule ? Ouais, mais c’était déjà comme ça dans le hors-série de 1968 ! Un scénario ne tient pas la route ? Ouais mais d’un autre côté comment tu voulais qu'ils s'y prennent pour faire cohabiter à la fois l’intrigue de 1948, celle de 1976 et celle de 1983 ? Au final TOUT se justifie ! Et comme dans Ready Player One, celui qui connait la référence se touchera, tandis que celui qui ne la connait pas s’empressera d’aller la retrouver ! Dès lors plus aucune construction ne s’impose ! Plus aucune mise en scène ne s’impose ! Ainsi une introduction comme celle d’Avengers 2 peut se justifier. On commence par de la grosse baston. On ne sait pas qui contre qui. On ne sait pas où. Ça tourne dans tous sens. Il y a Jean-Michel Jarre à la déco et à la musique qui nous fout des lasers partout… Mais c’est génial parce qu’on voit tous nos héros préférés ! Alors youpi !

 

Du coup, j’en viens forcément à me / vous poser une dernière question. La grosse question. Dans ce contexte-ci où tout peut se justifier par et pour l’émotion, un studio a-t-il donc intérêt à faire le choix de la créativité ? A-t-il intérêt à faire le choix de la rigueur ? Le simple fait qu’on puisse benner à ce point les phases d’exposition et de construction de l’intrigue, moi franchement ça m’effraie. Et qu’en plus ça vienne de Spielberg, pour le coup ça m’effraie encore plus… Parce que oui – alors que d’autres ne cessaient de s’enjouer de la présence du bon Steven derrière la caméra, rappelant à l’envie qu’on sentait que c’était un maître qui était aux commandes  - moi la présence de Spielberg au cœur de ce projet là me refilait au contraire de plus grands frissons encore. Parce que l’air de rien, c’est tout un symbole qu’un mec comme Spielberg décide lui aussi d’acter ce cinéma là. Spielberg c’est pas un mec tombé de la dernière pluie. C’est pas un mec comme Ridley Scott qui a su être bon lors d’une période de sa vie mais sans vraiment savoir pourquoi aujourd’hui. Spielberg – et on lui reprochera ce qu’on voudra sur certains de ses choix de production et de réalisation – ça reste quand même un mec qui touche. Bref, ça veut dire que si Spielberg a accepté que son film commence par : « Hey salut ! Ça c’est mon monde – c’est l’Oasis – et il est vraiment trop chouette ! Ça c’est mon idole et il est vraiment trop fort ! Et ça – hi ! hi ! – Bah ça c’est moi ! Parzyval ! » ; s’il a accepté ça veut dire qu’il a acté le fait que, dans un blockbuster, l’enjeu majeur de l’écriture il ne se trouve plus dans la cohérence, la profondeur ou l’impact de l’intrigue. Non, il a acté que tout l’enjeu se trouvait dans la manière d’agencer tous ces stimulateurs émotionnels prévus pour le spectateur, qu’ils s’agisse des mécaniques basiques à base d’action / guitare / boobs ou bien qu’il s’agisse des révérences sensées réveiller les souvenirs nostalgiques de chacun. Dans cette logique, la scène la plus représentative du film ce ne serait du coup plus celle de Shining, mais bien celle de la course-poursuite. Au fond qu’importe la finalité de la course. Ce qui compte c’est qu’on soit capable d’y mettre bout à bout un petit paquet de références qui sauront faire saliver les spectateurs, et qui, au passage, permettront aux producteurs de ramasser les pépètes qui trainaient par là…

 

 

 

Conclusion : le temps de se préserver un espace de création…

 

Alors après avoir dit tout ça, j’espère encore une fois qu’on ne se méprendra pas sur le sens de mon propos. Loin de moi l’envie de taper sur tous les adorateurs de Ready Player One. Le plaisir nostalgique ainsi que le plaisir de jouer à reconnaître des références de notre univers culturel à quelque-chose de plaisant et de jouissif. Et ce n’est clairement pas moi qui vais commencer à cracher sur cette logique qui consiste à reconnaître les mérites d’un film à nous procurer du plaisir. Seulement voilà, je pense qu’il est aussi essentiel de prendre conscience dans quelle mécanique on est aussi lancé et – presque malgré nous – piégés. Ca Ready Player One n’est pas un cas unique. Il participe à un système ; un système qui consiste à exploiter les ressources du passé plutôt qu’à générer de nouvelles ressources pour aujourd’hui. Car oui, que sera l’avenir de notre pop-culture s’il est dominé par les Ready Player One ? Que retiendrons-nous de notre époque dans vingt ou quarante ans si tout ce que propose notre époque, ce sont des condensés d’époques précédentes ? En soit ça ne serait pas un problème si Ready Player One n’était qu’un aspect parmi tant d’autres du cinéma. Or le problème, c’est que cette logique, c’est désormais celle qui régente une grande majorité du cinéma blockbuster US. Or aussi, c’est ce même cinéma blockbuster US qui a aujourd’hui tendance à s’étendre dans de plus en plus de salles, laissant de moins en moins de place pour les autres types de cinéma, ceux qui sont les plus créatifs… Alors après – je suis d’accord – l’hégémonie de ce type de cinéma rencontrera toujours des ilots de résistance ; et des canaux de diffusion alternatifs. Après tout, le développement de Netflix est actuellement une belle opportunité pour diffuser le cinéma différemment et donc aussi favoriser la diffusion d’un cinéma qui a besoin de s’émanciper de la distribution en salles et de la communication publicitaire habituelle. C’est vrai… Mais d’un autre côté je me dis qu’il y aussi un autre danger à voir se diffuser et de généraliser la culture « Ready Player One » au cinéma. Ce danger, c’est celui du règne de l’émotion pour l’émotion.

 

Car oui, je pense qu’il est important de comprendre que la culture ne peut se percevoir que comme de simples univers cloisonnés qui se juxtaposent les uns aux autres. Chaque univers communique avec ses voisins. Ils s’influencent mutuellement et au final forment un tout. Cela peut se faire pour le meilleur, mais cela peut aussi se faire pour le pire. Or, pour moi, le pire, c’est de voir une marginalisation sans cesse plus forte des espaces et des moments de création, ainsi que tout ce qui leur est lié, c’est-à-dire les sphères de réflexion, de questionnement et de construction… Ce qui se joue en ce moment n’est pas anodin. Certes, cela ne se joue pas qu’au cinéma mais cela se joue aussi au cinéma. Les espaces de réflexion se réduisent partout, dans notre environnement, et forcément cela finit par tous nous impacter dans notre quotidien. Que faire alors ? S’interdire de voir Ready Player One ? Non. Bien sûr que non. Se questionner sur ce qu’est Ready Player One ? Par contre ça, bien sûr que oui. Mieux encore, questionnons-nous sur tout ce que nous regardons, écoutons et lisons et questionnons-nous. Quelle part représentent encore les œuvres qui nous sortent de nos habitudes, de nos préjugés et des réflexes émotifs auxquels nous sommes déjà habitués ? Quelle est notre part d’ouverture et notre part de simple reproduction grégaire ? Posons nous bien la question. Car c’est quand on se retrouve enfermé dans un environnement clos qui ne laisse plus de place à la réinvention par lui-même de l’individu que cesse alors la liberté. C’est quand Ready Player One devient une norme et un absolu qu’un art commence à mourir… 

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