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8 novembre 2014 6 08 /11 /novembre /2014 15:59

 

 

http://fr.web.img6.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/09/23/10/13/267178.jpg

 

Si prévisible… C’était si prévisible… Il n’y a encore pas si longtemps que cela, on me demandait quel était – pour le moment – mon film préféré de 2014. J’avais répondu que j’étais incapable de trancher sur l’instant précis, qu’il faudrait que je murisse la question, que je revoie les films qui m’avaient le plus marqué. On m’a répondu alors, presque comme une boutade : « ce n’est pas grave, bientôt arrivera Interstellar… » Que voulait-on dire par là ? Qu’il suffisait qu’on me mette sous le nez un nouveau Christopher Nolan pour que, automatiquement, je le considère comme le meilleur film de l’année ? Sans même avoir vu le film ? Sans considérer la complexité de mes émotions ? Les choses seraient-elles à ce point prévisibles ? Eh bien à croire que oui… Maintenant que j’ai vu cet Interstellar, je peux le confirmer : oui, ce film sera pour moi le film de 2014. Comme quoi certaines choses sont hautement prévisibles et que ce n’est pas forcément un mal. Au contraire, quand les choses sont prévisibles parce qu’elles sont logiques, évidentes, limpides, je ne vois pas pourquoi je devrais m’étonner d’en être hautement ému.

 

http://fr.web.img5.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/05/21/16/24/555223.jpgOui, c’était presque écrit, un nouveau film de Nolan ne pouvait que m’extasier. A part son premier long-métrage – Following – et son anomalie – Insomnia (que j’explique par un besoin de convaincre les grands studios) – chaque film de Christopher Nolan a rencontré ma totale adhésion, ma totale transcendance, au point que j’en écrive un article pour chacun d’entre eux. C’est presque devenu une routine : tous les deux ans, Nolan sort un film ; tous les deux ans  je mets son film en tête de mes classements par année (ou presque) et tous les deux ans je le désigne comme personnalité de l’année… On pourrait croire que c’est presque devenu un réflexe conditionné et que Nolan pourrait sortir n’importe quel film, même indigent, les mécanismes pavloviens reprendraient quoi qu’il arrive le dessus. Moi-même, plus d’une fois, je me suis posé la question. Seulement voilà, en découvrant cet Interstellar j’ai compris pourquoi un film de Nolan agissait ainsi sur moi. Moi j’aime les films originaux, qui explorent des nouvelles contrées, qui m’éloignent des codes que je connais déjà… Interstellar fait ça. J’aime les films denses, qui questionnent par leur profondeur ma perception de l’être, de l’humain et/ou de l’univers. Interstellar fait ça. J’aime les films qui ne se contentent pas d’un propos verbal, j’aime les films qui savent transmettre par les sens. Interstellar fait ça. Avec ce nouveau film, je me suis rendu compte de qui était vraiment Christopher Nolan : un explorateur. Ce qu’il a déjà visité, il n’y retourne plus. Il préfère prendre le risque d’aller ailleurs, même si la contrée est casse-gueule et aventureuse. Mais ce qui fait que chacune de ses aventures est une merveille, c’est qu’il explore avec méthode, réflexion, rigueur. Nolan est un besogneux. Il travaille sans cesse son texte, il travaille sans cesse sa mise en scène jusqu’à ce que son esprit ne se heurte plus à rien, jusqu’à ce que toutes les vilaines aspérités disparaissent ou, au pire, deviennent invisibles. Nolan est un homme qui à le cœur hardant mais la tête froide, et c’est pour cela que chacune de ses productions ne peut que me satisfaire…

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/10/22/14/46/370364.jpgDéjà, avant Interstellar, je faisais souvent le parallèle entre Nolan et un autre auteur que je vénère, qui lui aussi avait le cœur hardant et la tête froide : Stanley Kubrick. Malgré tout, j’avoue que je n’osais que rarement l’évoquer, tant je ne voulais pas confondre les talents, tant je ne voulais dénaturer l’affection que j’ai pour l’un en la substituant par celle que j’ai pour l’autre. Seulement voilà, depuis Interstellar, il me semble difficile de ne plus faire le parallèle tant celui-ci apparait comme évident. Suis-je en train de dire qu’Interstellar est le nouveau 2001 ? Non. Mais j’affirme qu’Interstellar est dans la droite lignée de la démarche de Kubrick, qu’il est le nouveau testament de la science-fiction interstellaire alors que 2001 en est l’ancien. Et comme je sais que, comme souvent, un grand nombre de personnes restera sceptique face à ce genre d’affirmation, qu’ils ne verront peut-être dans cet Interstellar qu’une simple masturbation qui donne l’illusion d’un propos riche et visionnaire, encore une fois et de manière totalement prévisible, je vais me risquer à un article qui vous expose ma vision et mon ressenti de la chose (avec le flot de spoilers qui va avec, donc pour tous ceux qui n'ont pas vu le film, votre lecture s'arrête malheureusement ici !). Encore une fois, libre à vous de partager ou de contester ce que je vais ici exposer : les commentaires sont là pour ça. Même si j’évoque la métaphore du Nouveau Testament pour parler de cet Interstellar, sachez que je ne considère nullement mes écrits comme des paroles d’Evangiles et je me ferais un plaisir de discuter de tout point de vue différent car, après tout, tout n’est « qu’une question de point de vue »…

 

 

Nolan : le gardien d’un monde sans gardiens…

 

 

Un plan. Un seul. Le premier. Et déjà tout est presque dit. Comment ne pas penser au Prestige quand on voit ce premier plan d’Interstellar ? Même insistance sur un détail du film qui aura son importance pour décoder l’intrigue, même silence, même travelling, même police de caractère… Aux esprits qui cherchent la clef du mystère là où d’autres restent de simples spectateurs  « qui cherchent à être bernés » (« People wants to be fooled » disait le Prestige en ouverture et en fermeture), Nolan annonce déjà où il faut regarder attentivement pour comprendre. Ce premier plan, c’est une bibliothèque (et je m’excuse par avance de ne pas disposer de l’image pour vous l’afficher). Certains se diront que : « ah bah oui, c’est vrai, c’est à travers la bibliothèque que Cooper va communiquer avec sa fille et sauver la Terre, donc il faut porter son attention sur la bibliothèque, la grande clef du mystère… » Ils n’auront pas tort en se disant cela, mais ils n’auront regardé les choses qu’en surface. Are you watching closely ? semble nous répéter Nolan. Regarder l’intrigue se dérouler donne progressivement un autre sens à cette bibliothèque pleine de poussière, pleine de « rouille ». Qu’apprend-on de cette bibliothèque ? Qu’elle est pleine d’ouvrages scientifiques, qu’elle contient la clef de compréhension de l’univers pour peu qu’on prenne la peine de la lire et de la comprendre… Mais le problème, c’est que le monde actuel nous en éloigne et recouvre ce savoir d’une poussière d’ignorance. Les livres ne sont d’ailleurs pas les seuls à être recouverts : il y a aussi la petite navette miniature. Et dire qu’au moment où ces navettes furent pensées, on s’imaginait qu’en 2001, l’humanité mènerait son odyssée de l’espace… Au lieu de cela, elle s’est trouvée de nouvelles préoccupations, bien préservées et entretenues qu’elles sont par les « gardiens du temps présent »…

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/10/22/16/23/164817.jpgCooper, c’était le pilote d’un monde prêt à explorer l’univers, prêt à explorer l’humain… Il renvoie sûrement à un autre Cooper, celui de la mission Mercury, un pionnier de la conquête spatiale à l'époque où peu se risquaient encore là haut, tous seuls, à explorer ce début de grand univers...  Seulement, ce Cooper d'Interstellar lui s’est écrasé, on l’a fait redescendre violemment sur Terre, et depuis il y est désespérément cloué, au point qu’il en rêve obsessionnellement la nuit… Son monde n’est plus un monde du progrès, parce que c’est un monde qui s’est arrêté dans son exploration. C’est un monde qui entend désormais resté figé alors que l’humanité est amenée à rester en mouvement. Ainsi, Cooper a été réduit à ce qu’il n’est pas : un agriculteur, un simple nourricier, quelqu’un qui est prisonnier d’un cycle qui se reproduit sans cesse et dont le seul but et de faire survivre et de maintenir l’humanité, non de l’améliorer et de la transcender. Les Gardiens de ce nouveau monde ne cessent de lui répéter que c’est là l’essence même de l’humain et que vouloir dépasser sa condition c’est une hérésie. La science, l’exploration, c’est cela qui a conduit l’humanité à sa perte. Cooper se retrouve ainsi, dans ce début d’intrigue, confronté à un choix. Doit-il se résigner à cette idée que l’avenir de l’humanité consiste simplement à survivre de manière cyclique sur son caillou ou bien doit-il rester fidèle à son cœur qui lui dit que l’humain est fait pour dépasser sans cesse sa condition ? Une scène traduit parfaitement ce dilemme lié à son avenir, c’est lorsqu’on le convoque à l’établissement scolaire de ses deux enfants. Lors de cette scène, c’est clairement de l’avenir de ses deux enfants dont il est question. Doit-il tolérer que son fils se contente de faire ce que lui fait déjà, de la simple agriculture, sans dépassement de sa condition ? Et de même, doit-il accepter qu’on mente à sa fille au sujet des explorations spatiales des années 1960-1070 ? Doit-il entretenir ce mensonge social qu’il semble visiblement désormais bon d’accepter, celui que l’humain est condamné à rester ce qu’il est : un mangeur-reproducteur destiné à naître et mourir sur la planète Terre ?

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/09/25/16/40/193372.jpgLa trajectoire des deux enfants de Cooper durant tout le film en dit long sur ce qu’est l’humanité. Au fond, peut-être que tout le monde n’est pas explorateur. Peut-être qu’ils sont bien peu à être comme Murph, la fille insatiable de connaissances, capable comme son nom l’indique d’affronter toutes les possibilités aléatoires, bonnes ou mauvaises, que propose l’univers. Peut-être que finalement l’essentiel  de l’humanité est constituée de simples gardiens, comme son fils Tom, capable de regarder tourner en rond des humains sur un terrain de base-ball alors qu’un grand nuage de rouille est en train de dévaster progressivement la Terre ; capable aussi de rester au milieu de son champ, sa seule certitude, alors que ses récoltes meurent une à une, comme ses enfants ; et capable enfin de se convaincre que « l’an prochain peut-être tout ira mieux », pour éviter d’avoir à se remettre en question et d’explorer son propre univers. Cooper n’a rien contre les Gardiens. Après tout il en faut, et quand son fils semble accepter ce sort, il ne s’y oppose pas. Le problème, malheureusement, c’est que ces Gardiens, bien qu’ils soient des personnes que Cooper aime (son fils et son beau-père par exemple), ils n’en restent pas moins des personnes qui empêchent les explorateurs d’explorer. Le pire, c’est qu’ils le font souvent parce qu’ils ne comprennent pas, parce qu’ils ne voient pas. Quand Cooper observe la pesanteur dessiner des coordonnées sur le sol, son beau-père Donald n’y voit qu’une prière, une superstition. Quand Murph défend les théories d’Einstein à l’école, on lui répond que l’exploration spatiale est une supercherie, une propagande inventée dans un délire de puissance d’une époque révolue… La rouille au fond n’est pas qu’une simple poussière dont on ignore véritablement les origines, c’est le désert de l’ignorance qui s’étend et qui étouffe petit à petit le vivant. Donald y voit un jugement divin : il était évident que plusieurs milliards d’humains ne pouvaient espérer vivre sur cette petite planète et qu’ils étaient amenés à mourir de toute façon… Cooper lui se dit que si les humains avaient poursuivis leur chemin sur la route de l’exploration, sûrement qu’une bonne partie de ces humains seraient partis pour coloniser d’autres mondes et que la Terre serait encore vivable aujourd’hui…

 

 

La lumière pâle au milieu du fatalisme ambiant…

 

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/10/24/08/38/272869.jpgUn peu comme Kubrick commençait son exploration de l’univers en partant de simples singes, Nolan débute son épopée en partant d’une humanité réduite à son statut le plus primitif : celui du simple paysan, ne sachant penser qu’à sa propre condition matérielle. S’il le fait ce n’est pas pour lancer un message écolo comme j’ai pu le lire un peu partout ailleurs. Si Interstellar avait été écolo, il nous dirait certainement qu’il faut faire attention à la Terre, qu’il n’est pas trop tard pour la sauver… Mais ce n’est pas ce que nous dit Interstellar. Le film nous présente la Terre comme déjà perdue. Elle agonise. Elle est irrécupérable. Et ce n’est pas parce qu’on peut encore cultiver du maïs et respirer de l’air que la rouille n’applique pas sa loi inéluctable de transformation de la planète en cimetière. A la fin, la Terre est inhabitable, sa seule survie passe par d’autres mondes. Sa seule survie ne passe que par une poignée. Si Nolan avait voulu défendre une démarche écolo, soit il aurait sauvé la Terre, soit il aurait joué la carte du drame jusqu’au bout en tuant les humains avec la Terre. En réalité, le message de Nolan va au-delà d’un simple message écolo. Nolan ne parle pas d’écologie, Nolan parle d’évolution. L’humanité peut être sauvée, mais pour cela il faut qu’elle accepte de regarder les choses avec logique, et surtout, il faut qu’elle accepte une notion chère à Nolan : le sacrifice.

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/10/22/16/23/171643.jpgPas d’happy end chez Nolan. Tout mauvais choix implique des dégâts irréversibles et tout ne peut être sauvé. Nolan est d’un réalisme glaçant, il n’autorise pas la féérie où tout, à la fin, peut-être sauvé dans le bonheur général. En cela, la merveilleuse musique d’Hans Zimmer, inspirée de Philip Glass, ancre d’ailleurs très bien cet Interstellar dans la même lignée que Koyaanisqatsi, film qui propose justement une vision crépusculaire de l’humanité. C’est d’ailleurs souvent pour cela que beaucoup jugent le cinéma de Nolan comme froid et inhumain. En fait Nolan n’est pas inhumain, au contraire. C’est juste qu’il préfère présenter l’humain sans ses illusions. Il existe toujours une lumière chez Nolan, mais l’atteindre se fait au prix d’une lucidité douloureuse. Au fond, ce propos de Nolan est d’une certaine manière incarnée en creux par le professeur Brand (merveilleux Michael Caine, comme toujours). Brand, c’est celui qui considère que l’humain a besoin d’illusion pour avancer. C’est tout l’objet de son fameux Plan A. On bâtit une immense station spatiale sous Terre en espérant pouvoir la faire décoller grâce à de nouvelles connaissances qui permettraient d’annuler et d’utiliser la gravité pour se projeter dans l’espace. En attendant, le Plan B est présenté au départ comme un plan de secours, une recolonisation in vitro d’un monde lointain qui serait habitable.  Mais l’évolution de l’intrigue révèle le véritable point de vue de Brand. Pour lui le Plan A n’existait que pour faire accepter aux humains de travailler sur le plan B. L’humain n’est pas capable d’accepter le sacrifice, et c’est cela qui le fait souvent échouer dans sa démarche. Comme Borden et Angier ont dû consentir chacun de leur côté à de violents sacrifices pour dépasser leur conditions de simples illusionnistes dans Le Prestige ; comme Batman a dû consentir au sacrifice de Bruce Wayne, puis à son propre sacrifice, pour sauver Gotham ; Brand est celui qui considère qu’il faut savoir sacrifier les Terriens pour espérer sauver les Humains. Une lumière est possible, mais encore faut-il que les Humains sachent dépasser leur propre condition pour l’atteindre. Et Nolan semble presque donner une absolue raison à Brand quand il fait intervenir dans son intrigue le Docteur Mann…

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/09/25/16/40/189183.jpgMann est un personnage aussi inattendu (comme l’est Matt Damon) que fondamental pour la démonstration de Nolan. Faisant partie des missions Lazare parties explorer les systèmes potentiellement viables de l’autre côté du trou de ver, Mann est celui qui a guidé la mission menée par Cooper jusqu’à sa planète, par l’envoi de données qui paraissaient particulièrement encourageantes. Seulement, arrivé sur place, on découvre que Mann est en fait l’incarnation même de la posture redoutée par le vieux Brand. Sa mission était une mission sacrificielle. Mann lui-même le dit : il pensait avoir accepté ce sacrifice. Mais la réalité était tout autre. Il reconnait qu’il s’était lui aussi bercé d’une illusion pour accepter cette mission : il s’était dit qu’il découvrirait forcément une planète viable, qu’on finirait par le rejoindre… Seulement, face à la réalité, il n’a pas su s’effacer. La survie de l’individu est passée avant la survie de l’espèce. Il s’est osé à mettre en péril la mission menée par Cooper parce qu’il n’a pas su accepter son sacrifice. Par son action inconsidérée, par ses données truquées, il a rendu la découverte de la planète d’Edmunds, qui elle était viable, presque impossible. Il a même failli, en voulant s’arrimer coute-que-coute, réduire à néant le Plan B et détruire ainsi la dernière chance de l’humanité. Le discours de Nolan semble dès lors assez clair. L’évolution de l’humanité passe par le sacrifice : c’est souvent grâce aux sacrifices de quelques uns que l’humanité avance, de la même manière que l’humanité est ralentie dans son évolution par la réticence de certains à se sacrifier. Plus d’une fois, j’ai lu à droite et à gauche que ce propos nolanien avait des relents crypto-fascistes, et c’est vrai que, pour le coup, cet Interstellar pourrait presque leur donner raison : effacement de l’individu sur le groupe ; le sacrifice comme valeur centrale de l’épanouissement humain ; une masse atone guidée par quelques esprits éclairés et supérieurs… Pourtant, encore une fois, je pense qu’on ne peut arrêter le propos de Nolan à cette seule posture. Parce qu’après tout, au-delà de l’attitude de Mann, il y a celle de Brand-fille et surtout celle de Murph…

 

 

L’humanité selon Nolan…

 

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/09/25/16/40/180726.jpgComme déjà dit plus haut, on reproche souvent à Nolan d’être froid, inhumain, et c’est presque dans un découlement logique que parfois on va jusqu’à le traiter de grosse pourriture de fasciste. Seulement, je le répète encore, je pense que ce qu’on reproche essentiellement à Nolan, c’est sa lucidité et son refus d’une certaine forme de fantasme social qui est aussi diffus qu’imperceptible. Il est de si bon ton dans nos démocraties libérales de se représenter la masse comme uniformément pénétrée par l’intérêt général, ce qui lui permet, grâce aux pouvoirs magiques d’une raison miraculeusement bien répartie, de faire se concilier harmonieusement les intérêts de chacun et les intérêts de tous. Nolan s’émancipe juste de cette posture fantasmée. Il part juste d’un postulat dans chacun de ses films. Il pense qu’une bonne partie des gens sont prisonniers de leur environnement social, qu’ils s’y plient souvent par lâcheté et qu’il est souvent nécessaire qu’un donne l’exemple, qu’un d’eux se sacrifie, pour que la masse suive le mouvement et s’affranchisse enfin. C’était le cas de Batman, c’est aussi le cas des scientifiques d’Interstellar. Parce qu’après tout, Cooper n’est pas le seul « explorateur » face aux nuées de « Gardiens ». On peut compter aussi dans ces rangs : les deux professeurs Brand, Murphy Cooper et éventuellement le personnage de Romilly… Certes, ce qui distingue tous ces personnages des autres, c’est qu’ils sont des êtres rationnels, des êtres de logique, qui savent dépasser leur propre condition d’individu pour voir les choses au-delà de leur propre existence. Seulement, ils ne sont justement pas des intelligences froides, des êtres totalement déconnectés de leur humanité et de leurs émotions, et en cela, la comparaison avec le robot TARS en est une belle illustration.

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/10/22/16/23/161819.jpgTARS, c’est indéniablement le HAL9000 d’Interstellar. Il est l’intelligence froide du film. Au départ, on pourrait penser que Nolan présente TARS comme l’absolu humain. Après tout, il obéit aux ordres sans rechigner ; il accepte le sacrifice, et il est même capable d’une franchise absolue, chose à laquelle les Humains sont, dit-il, peu adaptés. Pourtant ce n’est pas TARS à lui-seul qui sauve l’humanité. TARS est du côté de Cooper lorsque celui-ci choisit la planète de Mann plutôt que celle d’Edmunds ; TARS peut voir les siens être totalement désossés, il n’en ressent rien pour autant. Plus d’une fois, le film induit par certains plans que TARS pourrait être capable de se révolter, de sauver sa propre existence comme HAL avant lui dans 2001. Seulement il ne le fait pas. TARS n’a pas d’empathie. TARS n’a pas ce lien qui lui fait comprendre qu’il fait partie d’un tout, qu’il vibre au-delà de lui-même mais aussi pour et avec d’autres que lui. Les Humains de Nolan ne sont pas froids, ils n’agissent pas seulement pour l’humanité : ils agissent aussi pour leur fille concernant Cooper, pour Edmunds concernant la fille Brand ; pour son frère, son père et son neveu concernant Murphy… Au final, tous rationnels qu’ils sont, chacun de ces personnages parvient à accomplir son cheminement parce qu’il laisse parler son instinct et son émotion plutôt qu’un raisonnement pur basé sur des faits intangibles.

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/09/25/16/41/147895.jpgJe l’avoue, au départ j’avais été un peu craintif lorsque le professeur Brand fille nous déclame son propos sur l’amour, comme élément devant être pris dans les décisions, mêmes celles qui nécessitent le plus de rationalité. Nolan nous ferait-il le coup de l’Amour chrétien plus fort que tout ? Le final nous montre que non. Certes, au fond, le choix de Brand était meilleur que le choix de Cooper. Edmunds avait raison sur Mann. L’Amour avait raison… ou plutôt l’Amour a permis de rendre sensible une réalité qui échappe à la seule connaissance des faits. Rien ne permet de trancher entre Mann et Edmonds si ce n’est que Brand a confiance en Edmonds, et qu’elle ne s’imagine pas qu’il puisse se tromper dans son intuition s’il affirme avoir de bonnes données. Murphy aussi accepte au final de se laisser guider par son « fantôme ». Certes, la chose semble irrationnelle, et l’écouter semble absurde comme le suggère Cooper en début de film. Pourtant Murphy a beau entendre l’argument, elle sent au fond d’elle qu’il y a une conscience là-dedans, quelque-chose de logique et de bienveillant. Or, la fin lui donne raison. Cet instinct qu’elle a eu, c’est celui qui lui a permis de cerner un fait qui, finalement était rationnel (pour peu qu’on se mette dans la logique du film) mais que sa connaissance du monde ne pouvait percevoir. Les sentiments, les émotions, ne sont pas les ennemis de la raison chez Nolan. La volonté et le désir individuels non plus. Ce sont eux qui poussent Murphy a aller au-delà des formules du professeur Brand senior. Ce sont eux qui poussent Cooper à revenir coute-que-coute. Ce sont eux qui poussent Cooper à retrouver la fille Brand sur cette planète qui, nous montre la fin, pourrait devenir une nouvelle Terre. Finalement, Interstellar est très proche de 2001 dans sa façon de cerner l’humanité. Au-delà de la raison, au-delà du conditionnement et de la volonté, il y a une force qui nous dépasse, nous pénètre, et que chacun peut ressentir à sa façon. Certes, Nolan nous dit qu’ils sont bien rares ceux qui vont jusqu’au bout de leur exploration sensorielle de l’univers. Après tout,  mêmes certains « explorateurs » comme Brand Senior ne vont pas jusqu’au bout de leur démarche : bien que sur le bon chemin, lui aussi fini par faire preuve de résignation, à l’image d’un Gardien, Malgré tout, même si Nolan nous dit que bien peu sont ceux qui ont le courage et la sensibilité d’être des sauveurs de l’humanité, il n’exclut néanmoins personne dans sa capacité à l’être. Alors oui, Interstellar est bien un film qui offre une vision déterministe de l’humanité, c’est vrai. Mais ce déterminisme est bien plus spinosiste et nietzschéen qu’il n’est fasciste. Or, cette vision n’en est que plus évidente quand on la met en regard avec la vision qu’offre Interstellar de l’univers. Là encore Nietzsche n’est pas loin, 2001, d’ailleurs, ne l’est guère non plus…

 

« Dieu est mort… »

 

 

interstellar-16.jpgAu fond, s’il y a bien un personnage central dans ce film, ce n’est pas Cooper, ce n’est pas Murphy, mais c’est bien l’univers lui-même. Je lisais ailleurs qu’on reprochait à Nolan l’effacement de ses personnages au profit du récit, qu’au fond ses personnages ne seraient que des faire-valoir.  Soit. Mais reprocher cela à Nolan, c’est finalement rejeter toute sa logique. Chez Nolan, l’individu n’est pas un être autodéterminé, exerçant à l’envie son libre-arbitre et sa pleine volonté. Il est au contraire, et dans chaque film, le produit d’un déterminisme extérieur, le jouet d’un ensemble de forces invisibles avec lesquelles il se doit de concilier. Ainsi, le centre d’intérêt de Nolan ne sera jamais le personnage en lui-même, mais toujours le système dans lequel il se trouve et qui finit par définir son identité et expliquer ses choix et ses actions. Dans Memento, les actions de Leonard ne sont finalement pas fixées par la volonté de Leonard. Ce dernier ne focaliserait certainement pas toute son attention sur la recherche d’un assassin s’il n’avait pas subi le meurtre de sa femme. De même, il ne se serait certainement par retrouvé dans cet hôtel, il n’aurait certainement pas rencontré Natalie ni tué Teddy sans les multiples interventions d’agents extérieurs cherchant à se jouer de son handicap. Comprendre l’entourage de Leonard et le passif de Leonard, c’est comprendre Leonard, de la même manière que comprendre Gotham, c’est comprendre pourquoi Bruce Wayne est devenu Batman. Le milieu, l’entourage, le vécu font les individus chez Nolan. Les individus ne peuvent ensuite que s’adapter, pour peu qu’ils ont su saisir les règles du jeu. Dans Interstellar, le grand maître d’orchestre, c’est l’univers. C’est lui qui fixe les règles ; qui dit comment les choses vivent, comment les choses meurent, comment le temps s’écoule... On aura beau se dire que l’humanité est faite pour moissonner, que la place de l’humain n’est pas dans l’espace, que peut-être les choses pourront s’améliorer l’an prochain si Dieu le veut, le fait est que si ces affirmations rentrent en opposition avec les règles fixées par la logique universelle, alors elles finiront forcément par voler en éclat. Dans Interstellar, ceux qui périssent sont ceux qui ont cru que l’univers pouvait se plier à leur volonté, qu’il suffisait de rayer des programmes scolaires l’existence de l’espace ou bien alors qu’il suffisait d’ignorer les relevés scientifiques pour que la pluie redevienne à nouveau envisageable… Ceux qui survivent sont finalement les rares qui ont pris le temps de comprendre et d’assimiler les règles du jeu. Ceux qui survivent sont ceux qui comprennent qu’au-delà du plancher des vaches, il y a l’univers et sa logique. Et encore une fois, comme un symbole récurrent, quand il s’agit de parler de savoir, d’humain ou d’univers, l’élément clef du récit est toujours le même : la bibliothèque.

 

http://www.slate.fr/sites/default/files/imagecache/1090x500/trounoir_interstellar_0.jpgAu-delà du simple symbole de savoir, Nolan a fait de la bibliothèque le lien tangible par lequel l’humain prend contact avec le cœur de l’univers. Parce qu’en effet, une fois la grande épopée accomplie par Cooper, celui-ci finit par se lancer en plein cœur de son trou noir, espérant trouver de l’autre côté du Vortex des secrets sur l’univers qui lui permettront de rendre le Plan A possible. Encore une fois, Cooper ne cherche qu’une chose, comprendre mieux les règles du jeu pour être en mesure, non pas de les enfreindre, mais de mieux s’y adapter. Et c’est là pour moi que Nolan fait preuve de la plus grande des audaces. Alors qu’il aurait pu arrêter son exploration de l’univers plus tôt, alors qu’il aurait pu s’en tenir à ce qui est connu, c’est-à-dire pas grand-chose, Nolan plonge dans l’inconnu et cherche à s’imaginer ce qu’il y a de l’autre côté du miroir. Ce passage, outre le fait qu’il rappelle fortement 2001 pour son audace visuelle et son mysticisme assumé, ouvre la porte à cette question : quelle est la véritable nature de l’univers et la place de l’humain dans tout cela ? Depuis le départ, Cooper voyait son épopée jusqu’au cœur de l’univers comme quelque-chose qui a été guidée de l’extérieur. Très régulièrement, Brand, évoquait des individus indéterminés qu’il désignait d’un simple « Ils ». Ce serait eux qui auraient mis en place le trou de ver. Ce serait eux qui auraient aménagé le cœur du trou noir de telle manière que Cooper puisse interagir physiquement avec la temporalité et la pesanteur de la chambre de Murphy. Bref, ils seraient des sauveurs, des êtres supérieurs et bienveillants qui dessinent pour nous la voie à suivre… « Ils » est flou, mais bien évidemment on pense à une intelligence extra-terrestre. L’humain serait ainsi, semble nous dire Interstellar, sous la protection d’une puissance mystique qui permettrait de nous éviter le pire, tel un Dieu sauvant quelques brebis égarées après le déluge. Mais là encore, Nolan balaye tout cela de la main dans sa manière de mener sa conclusion. « Ils », c’est Cooper. « Ils », c’est les humains. Le Cooper de quand ? Les humains de où ? Tout dans cet univers pentadimensionnel est finalement possible. Le fait est qu’on s’illusionnait à croire qu’au bout de tout cela, il y avait une œuvre qui était autre que la nôtre. En excluant ainsi un autre protecteur et décideur pour l’humain, en replaçant l’humain au cœur de son propre processus décisionnel, Nolan parvient à faire dans son discours ce que 2001 avait réussi à faire avec son monolithe. L’humain n’est pas libre dans son évolution : il est porté par une force mystique. Mais non, cette force n’est pas Dieu. Elle va au-delà de ça. Qu’est-ce que c’est exactement ? Le film n’entend pas répondre. Le film veut juste nous rendre sensible à la chose et nous faire poser la question. En cela, Interstellar est sûrement moins efficace que 2001 dans sa capacité à rendre sensible la chose dans notre quotidien, mais malgré tout, je trouve remarquable qu’un film se risque à nouveau à aller toucher cette corde, tout en parvenant à la faire vibrer…

 

interstellar-08.jpgAu fond, je trouve qu’il est quand même bien difficile de ne pas voir dans cette conclusion autre chose qu’une réinterprétation nolanienne de l’œuvre de Kubrick, 2001 l’Odyssée de l’espace. Deux univers sans Dieu, mais animés malgré tout d’un sens, d’une logique, d’une grâce mystique. Deux univers où finalement l’humain n’est presque rien, simple esclave qui se débat dans ce grand courant cosmique, sans savoir vraiment où celui-là le conduit… Plagiat ? Redite ? Pour moi, certainement pas. Comme quoi l’important dans un film n’est pas ce qui est dit mais comment il est dit. Dans 2001 l’humain ne faisait que se faire porter par le courant, se laissant happer à la fin, comme un accomplissement dans lequel il s’abandonne totalement. La fin d’Interstellar est moins mystique, mais peut-être parce que son but n’est pas forcément le même. L’humain de 2001 est quelqu’un qui doit apprendre à découvrir les forces qui régissent l’univers pour mieux se faire porter par elles. L’humain d’Interstellar est par contre quelqu’un qui apprend à découvrir les mécaniques de l’univers pour mieux connaître sa marge de manœuvre et appliquer sa volonté. Cooper n’est pas quelqu’un qui s’abandonne dans le cosmos à la fin d’Interstellar. Cooper est au contraire quelqu’un qui reste attaché à sa condition humaine et à ses désirs humains. Après tout, Cooper voulait simplement assurer un avenir à sa fille et, si possible, être en mesure de la revoir. Il n’a pas pu remonter dans le temps, de même qu’il n’a pas pu revenir sur sa décision de partir lorsqu’il a cru sa mission perdue. Cooper ne s’est pas abandonné dans le vortex comme aurait pu le faire un Bowman. Il est revenu pour accomplir sa volonté primaire, même s’il a dû le faire en prenant en considération l’étroit champ de possibilités que lui avait laissé l’univers. Du coup, il revoit sa fille, certes, mais à l’article de la mort. Nolan reste fidèle à ses principes en se distinguant de la conclusion kubrickienne : dans 2001, l'univers fixe les règles ET la finalité. Dans Interstellar, l'univers fixe les règles, mais l'humain reste maître de la finalité qu'il entend se choisir. Cooper ne peut pas tout façonner de ses propres mains, mais il peut malgré tout se construire un monde dans cet univers - la station Cooper par exemple - à condition qu'il sache prendre en considération et tirer parti des règles intangibles de l'univers. Cela ne permet pas des happy ends, mais cela offre toujours une lumière...

 

Au-delà de l'humanité... l'humain.

 

 

http://imageserver.moviepilot.com/review-interstellar-pure-perfection-8a5d7b7b-48de-455f-b188-6a1727d97e31.jpeg?width=2880&height=1800Alors oui, c’est vrai, le cinéma de Nolan est froid. Oui c’est vrai l’univers de Nolan est acerbe. Mais il nous apparaît sûrement ainsi parce que nous, spectateurs, ne sommes que très peu habitués à ce qu’on nous parle sur ce ton. Notre esprit est conditionné à ce que toute grande épopée se finisse forcément par un accomplissement total du héros, par une planète forcément sauvée ou une humanité enfin heureuse et soulagée, comme si, soudainement, la mort ou la menace n’existaient plus. Oui, c’est vrai, on peut percevoir cette approche comme bien froide même si, au fond, la fin de cet Interstellar n’est pas dénuée d’espoir et de lumière. Le plan A a fonctionné : une partie de l’humanité survit dans une multitude de stations qui essaiment dans le système solaire. Quant au plan B, il semble parti pour fonctionner également. La planète d’Edmunds est viable – Amelia Brand s’y balade sans casque – les ovocytes sont arrivés indemnes et Cooper vient la rejoindre. Une nouvelle humanité est donc prête à naître aussi ailleurs. Alors oui, il est vrai qu’on n’atteint pas là le niveau extatique des fins traditionnelles où soudainement la menace et la mort ont disparues… Après tout, on ne nous a pas dit combien d’humains sont restés sur Terre ; de la même manière qu’on a bien fait remarquer que Cooper n’est pas parvenu finalement à remonter le cours des choses afin de rattraper le temps perdu avec sa fille. Mais c’est justement cela l’univers de Nolan, c’est notre univers : il a ses règles, et si la volonté de l’humain doit s’y exprimer c’est en prenant en considération l’ensemble de ses contraintes. L’univers n’a pas été pensé pour accomplir la volonté de l’humain, mais l’humain peut espérer, s’il sait se faire suffisamment observateur, devenir cette civilisation qui remodèle l’envers du décor à sa manière. Plus qu’une lecture de l’univers, s’en est presque une philosophie de vie. Car après tout, si Interstellar nous invite à déchiffrer ces règles, c’est pour qu’on puisse y trouver, nous simples humains, une application pratique dans notre vie de tous les jours. Nous sommes des individus vivants dans cet univers que nous décrit Nolan. A nous d’apprendre les règles, de les accepter, et de savoir en tirer parti. Et la première des règles que Nolan semble vouloir nous faire assimiler en premier, c’est la plus dure, c’est celle qui consiste à prendre conscience que, contrairement à l’univers, nous, humains, nous sommes mortels.

 

http://lecinephileanonyme.com/wp-content/uploads/2014/11/interstellar-11.jpeg« L’Homme est né sur Terre, disait l’affiche, mais rien ne l’oblige à y mourir »… Ce discours est finalement autant valable pour l’espèce que pour l’individu. L’individu nait dans un corps, il n’est pas obligé de mourir avec lui. Cooper est un explorateur de la vie là où beaucoup ne bougent que bien peu. Cooper voit la fin approcher là où beaucoup préfèrent ignorer l’épée de Damoclès qu’ils ont au-dessus de la tête. Ils se disent que rester là, dans leur ferme, leur va très bien. Et quand la rouille vient, qu’elle prend progressivement la vie pour la transformer en mort, ils se disent que sûrement demain, les jours meilleurs reviendront… Cooper n’est pas seulement quelqu’un qui affronte l’extinction de l’humanité. C’est quelqu’un qui affronte aussi sa propre extinction ; l’extinction de SON humanité. C’est un fait, c’est la règle : tout est amené à mourir, y compris lui. La disparition de sa femme l’a initié à cette réalité : il ne peut la nier. Que faire ? Cooper est celui qui ose regarder les choses en face. Il faut qu’il pense à ce qu’il laisse. Comme il le dit si bien à sa fille Murphy : « le rôle des parents, c’est de savoir se transformer en souvenirs pour leurs enfants ». Assumer sa mort et survivre dans l’esprit de ses descendants : voilà le grand défi de Cooper. Cooper ne veut pas n’être qu’une tombe dans un jardin, comme son fils Tom a voulu le réduire. Cooper veut habiter l’esprit de sa fille. Cooper veut transcender son savoir et son expérience du monde pour que, pas à pas, la volonté finisse par triompher sur les règles. Cooper ne veut pas habiter le jardin, il veut habiter la bibliothèque. Mais cela implique toujours la même chose chez Nolan : des sacrifices…

 

http://t0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcQgMTtQgTAkpnNvWC_ZzDM6rLesddhOdov-AEctxDyPpScMjcyxPViRa8YANACooper, c’est le père qui se risque à s’éloigner de ses enfants afin de se sublimer pour eux. Un père doit expérimenter pour nourrir l’esprit de sa fille et libérer les entraves de sa volonté. Il ne doit pas rester à moisir tel un Donald qui la maintient dans l’immobilisme et le statut d’enfant subissant le monde et la croyance aux fantômes… Au fond, le voyage de Cooper est autant un voyage dans l’univers qu’un voyage métaphysique. Son entrée dans le trou noir, c’est son acceptation de la finalité. C’est son acceptation de la mort. Beaucoup jugent le passage dans le trou noir totalement farfelu, incompréhensible, pas logique pour un sou… Si on le limite à une simple projection physique c’est en soi totalement compréhensible. Nolan ne déblatère pas sur le « ils, en fait c’est nous » pour parler de physique. Là, il nous parle de l’autre monde, de « l’outre-monde ». Dans le monde des morts il n’y a pas de dieu. Ce n’est pas Dieu qui nous fait vivre après la mort, c’est nous, les humains, les enfants, et les enfants des enfants… Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Cooper regarde sa fille de derrière la bibliothèque. Ces livres, c’est son savoir, c’est sa démarche, c’est l’éducation qu’il a donné à sa fille. Le livre c’est la survie des esprits anciens, ce qui fait que l’humanité ne se limite pas qu’aux simples vivants. Ce sont ces mêmes esprits qui, quand on oublie leur savoir et qu’on les laisse dans la poussière, nous font perdre le chemin de la sagesse. Cooper ne peut pas remonter dans le temps. Il ne peut pas lutter contre son départ inéluctable, mais il peut laisser des traces dans l’esprit. Si les règles de l’univers sont ainsi faites alors il s’y plie à sa façon. Ainsi, même en n’étant plus là, il ne laisse pas sa fille seule pour autant. Le Cooper qui revient d’entre les morts n’est finalement qu’un petit bonhomme qui arpente les méandres de cette gigantesque station spatiale que constitue l’esprit de sa fille, là où demeurent encore les quelques champs, les parties de baseball et la maison de son enfance, au milieu de tous ces souvenirs qui défilent comme des témoignages sur des bornes mémorielles. Et quand la station Cooper ne sera plus, il y aura d’autres petits Cooper qui vivront au-delà, ailleurs, peut-être à l’autre bout de la galaxie… Au fond c’est cela que nous dit Interstellar. Comprenez l’univers, quantifier et analysez les faits, acceptez les règles, et sachez mourir – sachez plonger dans le trou noir – pour vivre à travers les livres et à travers le temps… 

 

 

Conclusion : leçon d’humanité, leçon de cinéma…

 

 

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/pictures/14/09/18/09/38/172067.jpgVoilà donc, dans les grandes lignes ce que ma vision d’Interstellar m’a fait ressentir, voilà ce à quoi il m’a fait réfléchir. Et plus j’y repense, plus je me dis que toute la force, voire toute la singularité, de Nolan se trouve là. C’est un homme qui sait parler de l’humain, qui sait parler du monde, mais qui en plus maîtrise à la perfection le langage cinématographique pour transformer l’idée en sensation, le discours en expérience. Autant qu’une expérience de vie, ce film est aussi et presque avant tout une leçon de cinéma. On reproche à Nolan de rentrer dans le système, de devenir un cinéaste de Blockbusters, mais reconnaissons au moins ce qu’il apporte. Tous les deux ans, il nous fournit des films grandioses, capables de solliciter les remarquables prouesses visuelles et sonores du cinéma moderne pour transcender les possibilités du septième art à explorer tous les champs possibles de questionnement et d’expérimentation. Alors certes, il ne plaira pas et ne parlera pas à tout le monde ce film, mais imaginons un instant que tous les réalisateurs de renom se plient à ce genre d’exercice avec la même rigueur et la même soif d’exploration ? Imaginez que Ridley Scott soit encore aujourd’hui le Ridley Scott qui avait la rigueur d’accomplir Alien ou Blade Runner. Imaginez que Guillermo del Toro accomplisse un Pacific Rim avec la même rigueur et la même audace qu’un Labyrinthe de Pan. Imaginez le cinéma si les explorateurs, au lieu de se transformer progressivement en gardien comme leur incite à le faire l’Hollywood d’aujourd’hui, demeuraient des explorateurs, des êtres n’ayant pas peur de prendre le risque de s’engouffrer dans un trou de ver pour voir ce qu’il y a de l’autre côté. Peut-être qu’Hollywood survivrait alors à la rouille jaunie qui détruit lentement les salles du monde entier…

 

Alors oui, quand on prend le temps d’y réfléchir, il était certes difficile d’imaginer qu’un gars comme Nolan, aussi rigoureux et aussi assoiffé d’exploration, puisse me décevoir. Oui, aussi prévisible cela puisse-t-il être, je revendique haut et fort mon amour pour cette audace, pour cette exploration, pour cette rigueur dans l’exploration des sens. Après, certes, nul n’est éternel. Le Tim Burton d’Edward est devenu le Tim Burton d’Alice ; le Kitano d’Hana-bi est devenu le Kitano d’Outrages et le Ridley Scott de Blade Runner est devenu le Ridley Scott de Prometheus… Peut-être qu’un jour, Nolan lui aussi sortira son Noé ou son Exodus…  Peut-être… En attendant, les chances sont grandes qu’un mec comme lui se décident à suivre l’exemple de son héros : Cooper. A la fin, même si la possibilité lui est donnée de vivre sans danger dans sa ferme jusqu’à la fin de ses jours, avec la certitude de savoir ses descendants en sécurité, Cooper préfère repartir à l’aventure. Il préfère retrouver la fille Brand, quitte à devoir passer le reste de ses jours sur un monde inconnu dont il ne sait rien. Nolan est comme Cooper, c’est un explorateur. Interstellar est exploré, désormais on le reverra dans deux ans, sur une planète totalement différente, mais toujours avec la même rigueur, toujours avec la même exigence, toujours avec le même talent. A bien y réfléchir, si on prend le temps d’analyser le personnage, c’est bien là ce qu’il y a de plus prévisible. Alors, à ce moment là, oui, il sera sûrement prévisible d’espérer de moi que j’adore à nouveau ce qu’il nous présentera. Et si cette prévision se confirme, je vous l’avoue, j’en serais le plus heureux des hommes… 

 

 

 

 

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