Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 octobre 2015 7 18 /10 /octobre /2015 15:59

 

Samedi 17 octobre 2015. Tard le soir. La France se prend une volée monumentale contre les Blacks. Avec l’ami Rupo – contributeur occasionnel sur ce blog – nous noyons notre indifférence dans la saveur des produits houblonnés de notre belle et fière région. Un autre sujet a depuis supplanté notre intérêt et notre avide ferveur de débattre et d’échanger. Palabrons-nous, comme les grands maîtres à penser de notre temps, sur les grands sujets qui referont l’Histoire de l’humanité comme le référendum socialiste, les propos de Nadine Morano ou bien encore du sort de ce pauvre Michel Platini ? Oh non. Nous n’avons pas la chance d’avoir cette hauteur d’esprit Rupo et moi. La discussion qui nous a pris fut bien plus triviale, bien plus innocente et pauvre de sens. Nous parlions du dernier film que nous avions vu chacun de notre côté, Le Nouveau Stagiaire de Nancy Meyers…

 

De tout cela, vous n’en sauriez certainement rien si la conversation ne s’était pas conclut par cette sentence lancée par l’ami Rupo : « Eh bah ça, tu vois, il faudrait que t’en fasse un article mec… » Un article… Voilà deux mois que je cherche le temps pour conclure un article que j’avais prévu de faire sur le dixième anniversaire de ma découverte du monde merveilleux des séries. Deux mois que cet article progresse péniblement, de paragraphe en paragraphe. Deux mois que ce blog est atone et n’avance pas. On est dimanche matin désormais. Je n’ai pas de travail imposé. C’est l’occasion ou jamais pour moi de reprendre les choses en main, pour pondre cet article à temps, avant que sa parution ne perde quelque peu son sens original (« Eh ! Cette année nous allons célébrer le onzième anniversaire de ma découverte du monde des séries ! » Non, décidemment, ça ne le fait pas…) Et pourtant, qu’est-ce que je décide de faire juste après m’être levé ce dimanche matin ? J’ouvre une page de texte pour écrire sur ce putain de Nouveau Stagiaire. Bah ouais… Parfois ça ne tient qu’à ça l’activité d’un blog. Mais bon, il faut dire qu’il est fort ce Rupo. Il suffit de parler avec lui, même d’un sujet aussi conventionnel et formaté que ce dernier film de Nancy Meyers, pour que d’un seul coup se génère un regard plus général sur le cinéma, sur ses codes, et sur ce que cela dit de notre société… Et pour le coup – ô surprise ! – il a fallu que le débat concernant ce Nouveau Stagiaire tourne sur le domaine que je m’attendais le moins à aborder et qui m’est pourtant cher : la musique de film…

 

 

« Moi, la musique, je n’y fais même pas attention… »

 

 

« Moi la musique, je n’y fais même pas attention. » C’est à cette déclaration de l’ami Rupo que j’ai soudainement compris ce qui faisait notre différence de perception face à ce Nouveau Stagiaire. Depuis le début de notre échange, nos impressions sur ce film étaient fortement contrastées. Je n’avais vraiment pas aimé. Je trouvais ça niais, archétypal, lisse et sans saveur. Lui pourtant y avait trouvé son compte, et au contraire il considérait que dans ce cadre très stéréotypé du film grand public, ce Nouveau Stagiaire savait présenter un regard vrai et pertinent sur la société, débouchant même sur un propos assez progressiste pour un genre qui, d’habitude, est très conservateur. J’étais intrigué. Je ne voyais pas comment il pouvait y avoir un tel écart de ressenti entre nous deux, pourtant d’habitude si proches. Mais là où le Rupo est un contradicteur fort enrichissant, c’est qu’il ne manque jamais de mots et de logique pour décrire son ressenti. Et alors que je peinais à expliquer les sources de mon rejet, lui parvenait à aligner un à un des arguments tous plus valables les uns que les autres. Quand je lui disais que je vomissais l’image idyllique et rose-bonbon qui était donnée dans ce film du monde de l’entreprise, il me citait les scènes qui, selon lui, démontraient qu’au contraire, le film s’en moquait ouvertement. On sonne une cloche pour des likes. On fait toute une affaire pour une touche « zoom » qui ne marche plus. On est obnubilé par l’envie de se donner une image cool en permanence, et cela de manière totalement ridicule… Effectivement, sur ce point, son ressenti se justifiait autant que le mien. Même chose pour l’intrigue amoureuse concernant le personnage de Jules, interprété par Anne Hathaway (...et à partir de là je spoile. Donc ceux qui n'ont pas vu le film, rendez-vous à l'autre balise jaune en fin de praragraphe.). Qu’au final son dilemme concernant son ambition professionnelle et sa vie de famille se résolve comme d’un coup de baguette magique, ça m’avait fait soupirer. Bah voyons ! Il te trompe, c’est un gros connard, mais parce qu’il est hors de question de reconnaitre dans un film américain que la séparation d’une famille est une solution envisageable, il suffit au gentil Matt de faire une gentille scène de mea culpa pour qu’à la fin tout soit pardonné et pour que l’amour reprenne le dessus… Mais là encore, Rupo n’a pas manqué de me rappeler qu’en fin de compte, le film ne va trop au-delà de cette scène. Jules le prend dans ses bras. On ne sait pas vraiment ce qu’elle a décidé d’en faire. La seule chose dont on est sûr, c’est qu’elle a pris la décision de ne pas sacrifier le rêve de sa start-up au profit de la vision traditionnelle de la femme qui consacre l’essentiel de son temps à s’occuper de son enfant (fin de spoil). Oui, encore une fois, Rupo avait raison. Globalement, ce film adopte une posture relativement féministe et progressiste dans un genre qui pourtant ne s’y risque jamais pas trop. Mais alors pourquoi un tel rejet de ma part ? Ne suis-je donc plus capable de cerner les différents degrés de lecture ? Suis-je donc devenu incapable de percevoir, au milieu des conventions propres à un genre, les subtilités qui peuvent rendre un film audacieux et donc agréable ? A un moment je commençais à me le dire, jusqu’à ce qu’on parle de la musique…

 

Alors que je manquais d’arguments, et que cela me décontenançait, je me suis soudainement rappelé de comment j’avais commencé ma critique de ce Nouveau Stagiaire, postée sur Allociné. J’avais parlé de clarinette. Oui, de clarinette. Paradoxalement, c’était ce qui m’était venu le plus rapidement à l’esprit quand il avait fallu décrire mon ressenti concernant ce film. J’avais dit qu’en gros, à partir du moment où il y avait de la clarinette, la démarche de ce Nouveau Stagiaire ne pouvait être que premier degré, tire-larme, et sans ambigüité. Dit comme ça, l’argument ne semble guère pertinent, je vous l’accorde. Mais en toute honnêteté, si vous voulez comprendre ce que j’entends dire de la musique de film à travers cet article, je vous invite un instant à jouer le jeu. Allez surfer un peu sur la toile et mettez la main sur un morceau joué à la clarinette. Familiarisez vous avec ce son et efforcez vous de vous rappeler à quel type de films et à quel type de scènes ce son vous fait tout de suite penser. Non, jamais vous n’entendrez de clarinette lors d’une scène de guerre, lors d’un moment de forte tension ou bien même en plein cœur d’un mystère policier. Non. La clarinette est – dans notre esprit – clairement codifiée. La clarinette survient toujours dans un moment calme, de plénitude, d’émotion douce. J’ignore pourquoi. Est-ce que ce son suscite quelque-chose de particulier dans notre métabolisme ? Est-ce un code culturel qu’on a fini par intégrer au point qu’il nous paraisse naturel ? Les deux ? Sincèrement, je n’ai pas d’explication et, finalement, je ne vais pas forcément chercher à en donner. Le fait est que la clarinette est un instrument qui a une connotation narrative univoque au cinéma. Quand on entend de la clarinette, on s’imagine un instant d’émotion. On ne sort jamais cet instrument par hasard. C’est presque un stabilo narratif. Le stabilo qui nous dit : « là, il faut s’émouvoir… » Et c’est finalement à partir de là que j’ai commencé à comprendre ce qui a fait que, me concernant, je n’ai pas vu de second degré dans la démarche de Nancy Meyers. S’il y en avait, en tout cas, sa musique m’a interdit de le percevoir…

 

« Moi la musique, je n’y fais même pas attention. » Eh bien c’est peut-être justement là que se trouve toute la différence entre nos deux ressentis. La musique, dans ce film, elle est loin d’être absente. Au contraire. Si vous n’avez toujours pas vu ce film, ou bien si vous avez l’occasion de le revoir, je vous invite à tendre l’oreille. La musique est présente presque tout le temps, pratiquement à chaque instant. Et quand on pense qu’elle va finir, elle reprend déjà quelques secondes plus tard. A quoi bon ? Simple décoration ? Pour des gens comme Rupo, visiblement, composer toute une bande originale est quelque-chose de superflu ou d’anodin car, comme il l’avoue lui-même, la musique, « il n’y a pas fait attention ». Et je le crois volontiers. Effectivement, si dans mon esprit, je retire à ce Nouveau Stagiaire sa musique, je ne vois plus vraiment le même film. J’entraperçois même le film qu’il a vu lui. Il y a d’ailleurs une scène où on se retrouve tous les deux, c’est finalement celle qui est sans musique, et ce n’est pas la plus anodine. Cette scène, c’est celle où (je spoile sans spoiler) le personnage de ben, incarné par Robert De Niro, discute avec le personnage de Jules, sur le lit de l’hôtel. Là, Jules livre son ressenti du moment, à l’égard de sa vie en général (désolé d’être vague mais j’avais dit que je spoilierais pas ! J’espère que ceux qui ont vu le film voient du coup de quelle scène je parle.) A ce moment là. Il y a quelque-chose de sincère qui se passe. C’est le seul moment où je n’ai pas eu envie de baffer Anne Hathaway. C’est le seul moment où je me souviens justement que quelque-chose de progressiste était dit dans le film. Pas de musique. Pas besoin. Et pour moi ce n’était pas anodin. A ce moment là, Nancy Meyers n’a pas jugé nécessaire de souligner au stabilo la scène. Elle l’a jugé suffisamment forte pour se suffire à elle-même. A mon sens, elle a eu raison sur ce point. C’est justement sur le reste qu’à mon sens, elle s’est plantée. La musique, ça ne s’utilise pas n’importe comment et, pour moi, ce n’est pas juste de l’habillage. Loin de là. Pour moi, ça transforme totalement un film et ce qu’il dit…

 

 

Accusé Shapiro, à la barre…

 

Theodore Shapiro (image ci à gauche). Compositeur depuis 20 ans. Plus de soixante bandes originales à son actif et, depuis peu, compositeur attitré de Ben Stiller. Pour un mec comme moi qui adore Ben Stiller, afficher ça sur sa carte de visite, à mes yeux ce n’est pas rien. Et pourtant, plus j’y repense, et plus je me dis que c’est son boulot qui fait que Le nouveau stagiaire est une œuvre sans ambigüité, à prendre au premier degré. D’ailleurs, je préfère l’annoncer tout de suite histoire de dissiper le doute au plus vite : je n’aime pas le travail de Theodore Shapiro. Je n’aime pas sa façon de raconter les histoires avec sa musique. Même dans La vie de Walter Mitty – film que j’adore pourtant – je n’aime pas sa musique. Tous les moments musicalement réussis du film sont en fait ceux qui ne sollicitaient pas ses morceaux : le décollage de l’avion sur fond d’Arcade Fire, le décollage de l’hélicoptère sur fond de David Bowie, ça oui… Le reste non…  Alors après j’en entends déjà dire que j’accuse sûrement le pauvre Theodore a tort. Après tout, Nancy Meyers a fait le montage. C’est elle qui a mis du Theodore Shapiro partout, à chaque seconde, pour chaque instant. Et c’est vrai. Je ne dis pas que Theodore Shapiro a saboté le film de Nancy Meyers qui, sans lui, m’aurait sûrement davantage plu. Non. Je dis que le choix de Theodore Shapiro n’est justement pas un hasard. Si on l’a pris lui, c’était justement parce qu’il faisait des bandes-originales « stabilo ». Et c’est cela moi qui finalement m’a fait détester ce Nouveau Stagiaire. La musique, telle qu’elle a été pensée, m’a interdit de naviguer librement dans le film.

 

Heureux qui comme Rupo a fait un beau voyage, seulement fait de raison, épargné par le diktat de Theodore Shapiro. Parce que pour qui est sensible à la musique dans la narration d’un film, consciemment ou non, il est assez difficile d’échapper à ce que nous dit la composition de Theodore Shapiro. Je prends quelques exemples. Quand on nous parle de Ben repensant à sa femme ; la musique nous dit que là, il faut être triste. Quand la petite gamine ne veut aller à l’anniversaire de sa copine qu’en présence de Ben ; la musique nous dit que là, il faut être touché. Jules envoie par erreur un SMS d’insulte à sa mère, la musique nous dit que là, il faut s’en amuser. Ce dernier exemple est d’ailleurs intéressant. Il nous montre qu’effectivement, la musique impacte énormément sur notre manière d’appréhender la scène. Elle nous fait un effet d’annonce qui nous permet finalement de nous préparer à ce qui va venir. Le caractère comique d’une blague ne se construit pas que sur son dénouement, le moment où on rit. La mise en condition a tout autant d’importance. D’ailleurs on le sent. Avant même la conclusion de la blague, on sent qu’on a une attitude prête à rire. Même chose pour la tragédie. Même chose pour l’épouvante… Le conditionnement de l’esprit joue un rôle considérable dans notre façon d’appréhender et d’apprécier la scène. Or, en cela, la musique est un magnifique outil narratif qui va jouer des conventions auxquelles nous sommes tous sensibles pour orienter notre esprit et pour nous permettre de nous préparer de la manière la plus adaptée qui soit à ce qu’on va nous proposer. D’ailleurs, repassez-vous dans votre tête la même scène de Jules envoyant son SMS, mais ce coup-ci avec en guise de musique de fond celle de la scène de douche de Psychose, et là je pense que vous n’allez pas du tout vous marrer lors de la scène qui suivra. La musique a ce pouvoir là. La choisir, suivre les codes ou non, joue un rôle fondamental dans la manière que le réalisateur a choisi de nous exposer à l’histoire. Cherche-t-il à nous guider sur des rails ? Nous laisse-t-il au contraire une marge pour réfléchir et interpréter à l’envie ce que l’on voit ? C’est ce qu’on nous dit et qu’on ne nous dit pas qui va le déterminer ; autant que ce qu’on nous montre ou qu’on ne nous montre pas. Or, la musique dit quelque-chose. Et c’est ce qu’elle dit dans le Nouveau Stagiaire qui m’a laissé sur la touche.

 

Avec la musique de Theodore Shapiro, je n’ai pas le droit de me poser des questions. Je ne suis pas non plus libre de mes sentiments. Sur telle scène, je dois être triste. Je n’ai pas le choix. Sur telle autre, je dois par contre être touché. Ces personnages là, je dois les trouver sympathiques parce que la musique me les impose comme tels. De même que lorsque la cloche sonne pour célébrer des likes, finalement c’est un moment joyeux qui doit m’émerveiller parce que la musique me dit que c’est un moment joyeux et merveilleux. Il suffisait de retirer la musique pour générer plus d’ambigüité dans cette scène là. Jules fait son speech avec sa cloche ; elle crie et elle saute dans tous les coins ; tout le monde l’imite ; on voit Ben en sourire et accompagner le mouvement. Certains spectateurs se seraient alors sûrement dit : « Ben sourit parce qu’il trouve ça cool que la boîte de Jules ait gagné 2000 likes cette semaine. » Mais cela n’aurait pas empêché d’autres spectateurs de se dire : « Ben n’a rien compris ce que signifiait cette histoire de likes. Mais bon, comme il est content de voir des gens contents, il applaudit même s’il est totalement largué. » Et la magie de l’absence de musique autoriserait même une troisième version des choses : « Ben, avec son regard du XXe siècle, trouve bien con qu’on puisse sauter dans tous les coins pour si peu. Mais bon, il s’en fout. Après tout ça l’amuse de constater à quel point tous ces gens sont esclaves de leur univers et de leur culture comme lui devait l’être à son époque. Ces gens là ne sont pas méchants. Ce sont tous de bons gamins. Alors Ben se décide à jouer le jeu – ne pas faire son vieux grincheux et son vieux con – et il applaudit parce qu’après tout, c’est amusant. » Opérer comme ça, c’est laisser la place à son spectateur. C’est lui dire : « viens et explore le monde que je te propose avec ton propre ressenti. Imprègnes-toi comme tu veux de ce que je te propose. Le plus important pour moi soit que tu vives  mon film comme une expérience qui te sera propre et qui t’impactera spécifiquement. » Mais non. Pour cette scène, Theodore Shapiro était là. Et Theodore a dit : « Là c’est un moment de bonheur. Ce n’est pas un moment potentiellement bizarre. Ce n’est pas un moment potentiellement absurde. C’est un vrai moment de bonheur qui ne se discute pas. Sois heureux comme Ben est heureux. » Point barre. Et voilà finalement pourquoi je n’ai pas su voir ce Nouveau Stagiaire comme Rupo a su le voir. Pendant que Rupo voyait un film qui avait du recul sur le monde de l’entreprise, sur les mœurs du XXIe siècle, sur la place de la femme, moi je n’ai pas pu le voir parce que depuis le départ Theodore Shapiro me disait le contraire. Theodore Shapiro me disait que ce monde était beau, que tout le monde était heureux, sauf aux moments définis où ils étaient tristes. Et à la fin tout le monde est heureux à nouveau, sans ambigüité, parce que la clarinette l’a dit… Maudite clarinette…

 

 

Clint Mansell aurait-il fait mieux ?

 

 

Après avoir dit tout cela, je me dois forcément d’arriver à ce moment où j’amène une certaine forme de nuance. OK, j’ai décrété que Theodore Shapiro était un Joseph Goebbels de la narration et que sa musique empêchait toute forme de nuance et de liberté dans un film. J’ai aussi considéré que les rares moments sympas du film était les moments où la musique se taisait. Qu’est-ce que je cherche donc à avancer concernant la place de la musique dans le film ? Quel regard entend-je vraiment vous apporter par cet article sur le rôle narratif des bandes originales en général ? Suis-je en train de vous dire que moins la musique est présente dans un film, plus elle laisse de liberté interprétative au spectateur ? Suis-je en train de vous dire que le surlignage musical de l’émotion c’est mal ? Est-ce que je vais même carrément jusqu’à avancer l’idée qu’une musique ratée peut justifier à elle seule qu’on vomisse derrière tout le film qu’elle accompagne ? Bien évidemment que non. A dire vrai, la réflexion vers laquelle ma discussion avec Rupo m’a conduit, c’est plutôt de se poser encore et toujours la place de la forme dans notre perception du cinéma. En cela, Le Nouveau Stagiaire est un bel exemple. Rupo l’a apprécié pour son propos, son histoire, et la manière dont l’intrigue relève les aspérités actuelles de la société. Moi, ce film, je l’ai rejeté. Et au fond je ne l’ai pas rejeté juste pour un problème de forme ; juste parce que ce qui était dit était mal dit. Non. A bien y réfléchir je l’ai rejeté parce que la forme disait quelque-chose au-delà de la seule intrigue. Le travail de réalisation n’est pas un simple travail de raffinement. On ne distingue pas les réalisateurs entre eux sur leurs seules capacités à enchaîner délicatement les plans, à composer joliment les cadres, à enrober esthétiquement les scènes par des belles couleurs et des belles musiques. Non. Le réalisateur parle à travers sa réalisation. Il NOUS parle. Ce qu’il nous montre n’est pas neutre. Nous regardons l’intrigue de son point de vue, à travers le regard qu’il construit pour nous. La composition du cadre, le montage, la photographie – et donc aussi la musique ! – suggèrent des choses. Par tous ses artifices, le réalisateur nous dit comment il voit les choses et comment il nous invite à les voir. Ce n’est pas un jeu innocent. Bien au contraire. Cela peut même être un jeu pervers si l’auteur parvient à user de ces subterfuges –auxquels nous sommes souvent sensibles inconsciemment – dans le but de nous duper et de brouiller les pistes…

 

Je n’ai rien contre les réalisateurs qui donnent leur point de vue. Au contraire. C’est ce que j’attends d’eux. C’est ce que j’attends d’un artiste. Je veux voir le monde avec un œil nouveau, avec son œil à lui. Je ne perçois pas l’espace de la même manière quand c’est Alfonso Cuaron (photo ci-à gauche) qui me le montre plutôt que lorsque c’est Christopher Nolan qui le fait. Chez le premier l’espace est un vide. Chez le second l’espace est un plein. Chez le premier notre Terre est un refuge au milieu des ténèbres. Chez le second la Terre n’est qu’une île au milieu d’un immense archipel. Chez Cuaron, l’homme doit apprendre à prendre conscience de la singularité qu’est la Terre. Chez Nolan l’homme doit apprendre que la Terre n’est pas unique et qu’il se doit d’y dépasser sa présence exclusive s’il veut survivre. Alors oui, ces différences de regards passent par l’histoire qui nous est racontée. Mais cela passe aussi par une expérience sensorielle qu’on nous transmet. L’espace est vide et oppressif dans Gravity. Les cadres et les sons (ou leur absence) rendent de plus en plus la présence dans l’espace comme oppressive. La Terre, elle, est un espace d’évasion. Un espace musical aussi, d’ailleurs. Dans Interstellar, c’est l’inverse. Les gigantesques plans d’ensemble de la Terre, comme les échos au milieu de champs de maïs, témoignent tous deux d’une planète totalement vidée de sa substance. Quant à la conquête de l’espace, elle est rarement silencieuse. Le décollage de la Terre, l’approche de Saturne, l’approche du trou de ver, les présences sur les trois exoplanètes, sont toujours accompagnés de musique. Par la musique, l’espace est plein. Par la musique, l’espace est vivant. La diversité des planètes et des lieux se ressent à travers la diversité des morceaux. Tantôt apaisants, tantôt glaçants, tantôt dynamiques. La musique traduit le ballet de cette vie qui trouve sa place dans l’espace. Donc oui, on peut très bien charger son film de musique comme l’est Interstellar. Oui, on peut surligner des atmosphères, des impressions, des émotions. D’ailleurs – oui aussi – on peut être un auteur dirigiste, comme l’est Nolan, sans que cela ne pose de problème. Tout dépend de ce qu’on en fait. Nolan nous conduit toujours dans des histoires complexes, assez éloignées des codes connus. Il nous tient la main et c’est normal. Je n’ose imaginer comment j’aurais pris Inception si on ne m’avait rien expliqué du monde que je voyais. Mon exploration aurait été forcément réduite. Qu’on me dirige par contre dans un monde que je connais, comme Le Nouveau Stagiaire, par contre, là j’avoue que ça me dérange davantage. Pourquoi cherche-t-on à me dire quoi penser et quoi ressentir dans mon quotidien ? Est-ce que j’attends vraiment cela, moi, du cinéma ?

 

Après, soit, tout le monde est libre. Certains aiment qu’on leur dise quoi penser et quoi faire. Certains aiment être confortés dans les représentations sociales admises dans notre culture. S’ils sont heureux là-dedans, ce n’est pas moi qui vais leur dire de fuir ce Nouveau Stagiaire. Ce film est fait pour eux. Qu’ils s’éclatent. Theodore Shapiro leur dira quand s’émouvoir, quoi aimer, quoi penser en fonction de ce que Nancy Meyers leur met sous le nez. Seulement voilà, à mon sens, il y a d’autres manières d’appréhender un film. Certes, un réalisateur livrera toujours son regard, mais il peut aussi choisir quelle place il va donner au spectateur par rapport à ce regard. Prend-il le risque de lui laisser un espace de réflexion face à ce regard ? Ou bien préfère-t-il imposer son diktat en affirmant que son regard sur l’histoire, c’est le regard qu’il faut avoir sur l’histoire. En cela, le choix de la musique et de son compositeur est quelque-chose qui me semble primordial dans cet édifice là. Parce qu’après tout, si Nancy Meyers avait préféré Clint Mansell (photo ci-dessus) à Theodore Shapiro, quel impact cela aurait-il pu avoir sur le film ? Aurait-on pu conserver le même montage, la même intrigue et la même photo avec ce que Clint Mansell a l’habitude de dire avec sa musique ? Pour ceux qui ne le connaissent pas : écoutez Mansell et faites vous une idée. Si vous ne connaissez pas les films dont sont extraites ses bandes originales c’est encore mieux. Imprégnez-vous de son esprit. Ressentez ce que ses compositions font ressurgir en vous en termes de sentiments et autres sensations. Alors je pense que vous comprendrez qu’il n’est pas un compositeur qui dit par sa musique « là c’est triste / là c’est touchant / là c’est drôle ». Contrairement aux compositions de Theodore Shapiro, celles de Clint Mansell peuvent s’écouter en dehors des films pour lesquels elles ont été faites, et cela justement parce que sa musique est parlante par elle-même. Elle n’est pas binaire. Elle n’est pas qu’un simple support d’image qui sert à surligner. Quand on fait participer Clint Mansell a un film, ce n’est pour les mêmes raisons et avec le même objectif que pour Theodore Shapiro. La musique dit quelque-chose. Le compositeur exprime autant d'éléments avec ses musiques dans le film que le scénariste avec ses dialogues. Le propos du film est aussi en elle. Elle en dit long sur les intentions. Elle en dit long sur la couleur donnée à l’intrigue. On peut ne pas y être sensible. Rupo ne l’est pas, et cela ne l’empêche pas d’aimer le cinéma. Mais on peut aussi y être sensible sans s’en rendre compte. Or, il ne me semble jamais inutile de se demander pourquoi quelque-chose nous plait ou pourquoi quelque-chose nous dérange. Parfois, qui sait, vous n’avez pas aimé ce que vous a dit un film, non pas par ses dialogues, mais par tous ses autres moyens de communiquer un propos…

 

 

Conclusion : penser le cinéma au-delà du verbe et de l’image…

 

 

Ainsi s’achève donc ma pensée du jour, ma réflexion de la veille… A bien tout repasser dans ma tête, je me dis que ce n’est finalement pas grand-chose, une simple amorce, peut-être même de simples évidences pour certains d’entre vous… C’est vrai que face à une pareille question, je regrette de ne pas disposer de connaissances, même sommaires, en composition musicale. Qu’il aurait été bon que je vous fasse un listing des méthodes basiques utilisées selon les situations. Qu’il aurait été bon qu’à force de voir des films je sois capable de vous traduire les grands stéréotypes de ce vocabulaire inconscient que sont les bandes originales de films ! Imaginez un peu le champ de compréhension qui s’ouvrirait soudainement à nous. On pourrait dire de certains motifs ou de certains instruments qu’ils sont typiques d’une certaine catégorie de discours. Ce serait l’occasion de comprendre encore mieux ce que suscite en nous une musique pendant qu’on découvre une intrigue…

 

Seulement voilà. Cette capacité là, je ne l’ai pas. Je ne peux que me rendre compte, comme face à des films comme ce Nouveau Stagiaire, comment on cherche à parler insidieusement à notre subconscient en utilisant un langage auquel nous sommes tous réceptifs mais sans forcément y prêter attention. Ainsi j’espère juste qu’à défaut de vous avoir instruit, au moins cet article vous aura sensibilisé. Non la musique n’est pas anodine. Oui la musique dit quelque-chose. Cette affirmation peut sembler évidente quand on se retrouve confronté à en écouter sans images associées. Et pourtant, dès qu’on se retrouve face à un film, le pouvoir dominateur de l’image nous fait perdre de vue qu’on nous parle autrement que par ce qu’on nous montre. Où, dans les critiques, professionnelles ou amatrices, prend-on le temps de parler de la musique ou d’en analyser le discours ? C’est rare. Même chez moi d’ailleurs… Certes, des fois, parler de cela est inutile. Il n’est pas rare que les cinéastes eux-mêmes méprisent cette dimension de leur propos (notamment dans le cinéma français) et se contentent juste de prendre un compositeur par simple principe, par habitude, par convention… Combien de fois aussi le choix du compositeur est-il purement et simplement retiré à l’auteur, entrainant parfois de jolis contresens narratifs ? (je repense notamment à la tragédie que fut pour moi Source Code) Mais au-delà de tout cela – prenons-en conscience tout de même – la présence de la musique n’est pas négligeable au cinéma. Loin de là. Donc, amusons-nous tous, chacun de notre côté, à tendre l’oreille différemment lors des prochaines séances qui nous attendent. Soyons sensibles. Et voyons ce que le film aura de plus à nous montrer - que dis-je - à nous faire entendre…

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de l'homme-grenouille
  • : Exilé d'Allociné mais la motivation reste intacte ! Par ce blog j'entends simplement faire valoir notre droit à la libre-expression. Or, en terme d'expression, celle qui est la plus légitime est celle des passions. Moi, je suis passionné de cinéma, et je vous propose ici mon modeste point de vue sur le septième art, en toute modestie et sincérité, loin de la "bien-pensance" mondaine. Puisque ce blog se veut libre, alors lisez librement et commentez librement. Ce blog est à vous...
  • Contact

Recherche