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9 janvier 2015 5 09 /01 /janvier /2015 19:00

 

 

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C’est marrant d’écrire un blog. Des fois je reste des mois sans rien publier, parce que je me dis que je n’ai rien à dire de nouveau, ou bien parce que j’ai la flemme, ou bien tout simplement parce que je trouve l’actualité atone… Et puis il y a des moments comme celui-ci où j’aurais envie d’écrire un article tous les trois jours, à condition bien évidemment d’avoir le temps pour ça. Regardez un peu. Au moment où j’écris ces lignes, nous nous trouvons dans les derniers jours de 2014 : je suis en train de digérer tranquillement mes repas pantagruéliques du réveillon de Noël ; je prépare mon foie au Nouvel An qui s’annonce et, au milieu de tout ça, j’essaye de trouver le temps pour écrire mon traditionnel petit article revenant sur l’année 2014. Et là – pif-paf-pouf ! – venue de nulle part, voilà qu’une micro-polémique enflamme le net sur des thématiques qui ne peuvent que susciter chez moi une réaction écrite. Cette polémique n’a pas vraiment de nom. Aux yeux de certains, elle a pour origine un dérapage de l’animatrice Paola Raiman et du philosophe Raphaël Enthoven lors de leur émission diffusée sur France Culture le 21 décembre 2014 et intitulée le Gai Savoir. Alors qu’à l’origine il devait être question de la démocratie selon Alexis de Tocqueville, il n’a suffi que de cinq minutes pour que ces deux animateurs sus-citées ne s’en prennent ouvertement à un jeune Youtuber connu sur la toile pour poster ses critiques de films – Durendal pour ceux qui le connaissent -  le désignant comme un « soit-disant critique » ; un « abruti » et dont la parole a été assimilée à la « bave de crapaud ». Mais beaucoup ne manqueraient pas de rappeler que la véritable amorce de cette affaire se trouve ailleurs, en amont, chez Durendal lui-même.  Après tout, le duo de France Culture ne s’est-il pas juste contenté de réagir à des propos tenus par le jeune Youtuber lors de sa review d’Adieu au langage, film de Jean-Luc Godard ? Il est vrai que pour le coup, Durendal n’avait pas mâché ses mots dès son introduction : rebondissant sur l’image du chien présent dans le long-métrage, il s’était permis de dire qu’il était temps de « piquer » Godard ; qu’il méritait « l’injection létale » car, au fond, il n’était qu’un « vieux connard » qui se permettait « de donner des leçons alors qu’il ne maitrisait même pas son outil de base. » Du coup, qui a vraiment tiré le premier ? Les réactions offusquées de Paola Raiman et Raphaël Enthoven sont-elles si inadaptées et disproportionnées au regard de ce qui a été dit par Durendal ? La question est ouverte, d’où la naissance de cette micro-polémique. Alors peut-être qu’à cet instant, ceux d’entre vous qui n’étiez pas au courant de cette histoire ne comprennent certainement pas pourquoi je me permets de la relayer sur ce blog tant elle parait puérile et insignifiante. Si l’affaire s’était arrêtée là, je les aurais amplement compris. Mais seulement voilà, la toile s’est emparée depuis de l’histoire : France Culture fut assaillie de mails et de commentaires désobligeants ; sur Twitter et Facebook l’affaire fut largement commentée, obligeant même les principaux acteurs de cette polémique – et d’autres – à revenir sur ses enjeux. Or, c’est à partir de cet instant que j’ai soudainement trouvé un intérêt particulier à cette petite polémique qui en cache en fait une bien plus grande, d’où mon malin plaisir à la baptiser du joli nom de Durendalgate

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Mais bon, justement, puisque tout le monde en a parlé, tout n’a-t-il pas déjà été dit ? Peut-être, mais qu’en a-t-on vraiment tiré comme enseignement ? A-t-on seulement vu à quel point, derrière ses aspects triviaux, cette polémique met en lumière une évolution logique de la société actuelle ? C’est d’ailleurs marrant, mais je ne m’étonne qu’à peine que l’ami Durendal se retrouve soudainement – et contre toute attente – au cœur d’une affaire comme celle-ci. Car, si lors de son retour sur « l’Affaire » Raphaël Enthoven a tenu à présenter Durendal comme un simple « symptôme », je pense qu’au contraire, il est beaucoup plus pertinent de le percevoir comme un symbole. Durendal incarne une nouvelle forme de communication, d’expression et d’information sur le cinéma. Après l’apparition des critiques spectateurs sur Allociné en 1997 ; la possibilité de poster des commentaires sur les différents sites de vente de films en lignes ; puis le développement des blogs et autres chaînes Youtube ; l’individu lambda s’invite dans des sphères d’expressions publiques autrefois réservées qu’à une catégorie de personnes bien spécifiques et triées sur le volet. Durendal est devenu malgré lui une figure de proue dans le domaine de la critique de cinéma, sinon amateur (car après tout, Durendal n’est plus vraiment un amateur puisqu’il est désormais rémunéré pour ses critiques via Youtube et Tipeee) du moins alternative. Et oui – forcément ! – moi le petit gars qui tient son blog et qui poste ses critiques depuis bientôt dix ans, je suis sensible à ce qui se dit sur ce cher Durendal et – à travers lui – sur la pertinence de l’individu lambda à exprimer son opinion sur le cinéma via Internet. Car oui, s’il y a bien un point sur lequel Raphaël Enthoven a su se montrer pertinent, c’est qu’effectivement le cas Durendal peut clairement permettre de nous questionner sur la démocratie actuelle, telle qu’elle est pensée de part et d’autres de la société. Par contre, ce qu’il n’a perçu qu’à moitié – et c’est un peu ballot pour un philosophe – c’est que bien plus que le cas Durendal à lui seul, c’est tout le Durendalgate qui est un questionnement sur la démocratie dans notre société ; sur la démocratie permise par Internet et surtout – car c’est bien là ce qui nous intéresse ici – sur la démocratie dans le domaine de l’expression de notre amour à tous du cinéma…

 

 

Léger savoir…

 

Une chose semble souvent établie dans une polémique, c’est qu’elle repose sur l’ambigüité et l’interprétation. La polémique, c’est l’acte qui flirte avec les limites fixées ; c’est le discours qui interroge sur l’idée qu’elle sous-entend ; c’est le fait qui appelle à une précision de la part de son auteur. Il n’y a pas de polémique s’il y a clarté et légitimité du geste. S’il y a donc eu polémique dans ce Durendalgate, c’est que tout le monde n’a pas forcément joué franc-jeu dans cette histoire. Durendal est-il allé trop loin dans sa critique dédiée à Adieu au langage ? Paola Raiman et Raphaël Enthoven sont-ils allés trop loin dans leur invective faite à l’égard du critique ? Les réactions survenues à cet égard de la part d’Internautes anonymes (ou moins anonymes) sont-elles allées trop loin elles-aussi ? Dans ce petit jeu de ping-pong discursif, tout le monde a tenu à justifier sa position et ses propos pour attirer à lui la raison et le bons-sens. C’est de bonne guerre. Cependant, ce que j’ai trouvé de fort intéressant dans cette affaire, c’est qu’à bien y regarder, ses deux principaux antagonistes sont paradoxalement ceux qui en ont le moins compris la substance profonde. Oui, il y avait autre chose qui était dit derrière « la bave de crapaud ». Et non, le vrai problème n’est pas l’injection létale promise à Godard. Et ça, aux dires de leurs réponses respectives, ni Durendal, ni Paola Raiman ne semblaient en avoir réellement pris conscience.

 

http://media.senscritique.com/media/000006685518/source_big/Le_Cinema_de_Durendal.jpgPauvre Timothée Fontaine… Avait-il seulement réfléchi un seul instant à ce qu’impliquait vraiment le fait d’essayer de percer en tant que critique cinéma sur Youtube ? Pour cela, difficile de reprocher quoi que ce soit à la détermination du jeune étudiant en école de cinéma qui, sentant l’envol des vidéos Youtube, s’est décidé à profiter du filon pour essayer d’en vivre. La recette a été simple : être là le premier et être le plus visible possible pour s’imposer dans les recommandations proposées par le site. Aujourd’hui, 29 décembre 2014, quand on tape « critique cinéma » dans Google vidéos, on tombe d’abord sur le leader du marché, Allociné, et puis juste après on tombe sur le Cinéma de Durendal. Il a posté sur tout, à une cadence effrénée, sans même se soucier de monter ses vidéos. « Face cam » ; plan séquence ; one shot… Sans réelle concurrence sur ce secteur en terme de prolixité ; sachant jouer de ses connaissances pour faire connaitre son existence sur d’autres chaines liées au cinéma ; Timothée Fontaine a su comprendre et appliquer à son profit les mécaniques du réseau… Seulement, quand presque abasourdi il apprend avoir été conspué lors du Gai savoir du 21 décembre par Paola Raiman et Raphaël Enthoven, sa réaction sur Facebook démontre à quel point il n’a pas pris le temps de comprendre comment fonctionnait cet autre réseau social qu’est la société française. Que dit-il en réaction au « soi-disant critique » de Paola Raiman et à la « bave de Crapaud » d’Enthoven ? Il répond simplement qu’on ne l’a pas compris – pire – qu’on n’a pas pris le temps de le connaitre avant de le critiquer. Puisqu’on en a fait un symbole de « l’abruti » qui peut s’exprimer librement à la tribune ; Durendal entend se justifier en prouvant qu’il n’est pas un abruti ; qu’il sait ce qu’il dit ; qu’il est assistant-réalisateur ; qu’il a fait une école de cinéma ; qu’il sait comprendre Godard dans toute sa subtilité comme peuvent le prouver ses multiples publications et que c’est par un jugement trop hâtif qu’on l’a relégué dans la catégorie des abrutis. En gros, il reproche que, pour le coup, France Culture n’a pas pris le temps de se cultiver sur le jeune Youtuber qu’il est, et que les propos qu’on lui reproche, sortis du contexte, auraient pu être reprochés à n’importe qui d’autre. Procès d’intention parce que culpabilité d’ignorance : voilà la ligne de défense de Durendal. Et c’est là certainement ce qui a été son interprétation sincère des choses dans le vif de l’instant… Comme quoi, les réactions à chaud, bien que compréhensibles, sont rarement les meilleures… Pour le coup, l’ami Durendal aurait gagné à réfléchir plus tôt à ce qu’il incarnait vraiment aux yeux des gens de France Culture. Sa défense n’en aurait été que meilleure…

 

http://i.ytimg.com/vi/KFWhTAG5pAY/maxresdefault.jpgMais que peut bien valoir une telle défense pour qui écoute France Culture ? Qui se risquera à aller sur sa page Facebook pour lire un tel message ? Qui osera ensuite vérifier par lui-même qu’effectivement, Durendal connait Godard et que – par extension – il connait le cinéma ? En se défendant ainsi, Timothée Fontaine ne fait que s’adresser à son propre public, déjà convaincu du bien-fondé de sa chaîne et de ses propos. Il n’a pas compris que ce n’était pas son avis sur Godard qui était en cause. Il n’a pas compris que ce n’étaient pas ses propres mérites personnels qui étaient méconnus. En somme, il n’a pas compris comment fonctionnait le vrai réseau, celui de la société française en son entier. C’est d’ailleurs tout un symbole que l’ami Durendal se soit fait épinglé sur l’Adieu au langage, car c’est bien sur ce domaine qu’il s’est mis out dès le départ de sa chaine. C’est bien sur l’épreuve du langage que Timothée a échoué pour prétendre à la reconnaissance de la part de la société qui se cache derrière France Culture. Non, et cette affaire le démontre bien, la société française n’est pas une société qui se hiérarchise naturellement et justement selon le mérite de chacun, comme c’est plus ou moins le cas de Youtube. Non, et cette affaire le démontre toujours, la société française n’est pas une démocratie où chacun dispose d’un libre accès à la tribune à partir du moment où son avis est partagé par un certain nombre de citoyens. La France n’est pas une démocratie. La France a été bien plus forgée par les Capétiens et les Bourbons qu’elle ne l’a été par les Sans-culottes et autres membres du CNR… Par une réponse sur le même Facebook, Paola Raiman, en bonne élève de grande école, a renvoyé Durendal à ce qui le disqualifie d’office dans les hautes sphères de responsabilités. « Je salue cette belle tentative de votre part pour déplacer le débat et biffer ce qui fâche. Ce qui m’a fait réagir c’est que vous commenciez votre vidéo sur cette blague potache et vendue comme telle de l’injection létale qu’il faudrait administrer à Godard. Le ton étant que, sous couvert de plaisanterie, l’obscénité du propos est déchargée de toute responsabilité. » Paola Raiman sait-elle seulement ce qu’est le trash talking, et en connait-elle les codes d’usage ? La question n’est pas là : Durendal parle comme la masse donc il est la masse. Or, et c’est finalement cela qui est le plus édifiant dans cette affaire, c’est qu’il semble acquis par tous – Durendal y compris – qu’en France, l’homme du peuple n’a pas de légitimité à exprimer son point de vue à la tribune… Et sur cette question là, c’est encore le philosophe Raphaël Enthoven qui l’a exprimé le mieux, enfonçant le clou deux jours après son Gai Savoir, dans un article qu’il a décidé d’intituler De quoi Durendal est-il le nom ?

 

 

« Ce vieux connard qui ne maitrise même pas son outil de base… »

 

http://www.actu-philosophia.com/IMG/arton296.jpgComme tout un symbole, il y a en qui prennent tribune sur Facebook pour se justifier et d’autres, comme Raphaël Enthoven, qui préfèrent passer par un article sur l’Huffington Post, le tout relayé par le site de France Culture (…alors que la réponse de Durendal, elle, bien entendue, n’a pas été relayée, allez savoir pourquoi.) Mais peut-être est-ce là le privilège des philosophes car, oui, pour ceux qui ne le savaient pas, Raphaël Enthoven n’est pas un simple individu extrait de la masse, comme peut l’être Durendal, lui il EST philosophe. Dans son post, Raphaël Enthoven n’oublie d’ailleurs pas de rajouter ça et là des liens vers une multitude de ses précédents articles concernant le déconstructionnisme social ; les courants d’histoires philosophiques ou bien encore la pensée d’Aristote. Car non, quand Raphaël Enthoven décide de prendre place sur la tribune, ce n’est certainement pas pour justifier ses attaques faciles et laver son amour-propre blessé. Quand un philosophe s’ose à parler publiquement, c’est avant tout pour éveiller les âmes et affranchir les esprits en quête de sagesse de leurs représentations trompeuses. Ainsi se dit-il amusé de tout ce retentissement, précisant d’ailleurs dès ses premières lignes, qu’il ne s’exprime uniquement parce qu’il s’agit là d’une belle mise en abime « amusante » de son propos sur la démocratie de Tocqueville. Car oui, parce qu’au départ, il était question de philosophie sur le concept de démocratie… Et il est beau de voir un philosophe à l’œuvre, car alors qu’il se questionne sur ce que cache Durendal, il apporte au fond davantage d’informations sur ce que cachent les émissions philosophiques de France Culture

 

http://s1.dmcdn.net/DyPrq.jpgParce qu’au fond, de quoi Raphaël Enthoven est-il vraiment le nom ? Est-il un « symptôme » de la philosophie contemporaine telle qu’elle s’exprime dans des émissions de « vulgarisation » comme peut l’être le Gai Savoir ? Bien sûr que oui. Oubliez les définitions de la philosophie que l’on vous a forcé à apprendre au lycée, à la fac ou en hypokhâgne. La philosophie n’est visiblement pas l’art de questionner les concepts induits par le langage ou de remettre en question les représentations que notre milieu nous fait percevoir à tort comme des vérités intangibles. C’est une évidence, car si tel avait été vraiment le cas, la réponse de Raphaël Enthoven faite à Durendal et à tous ceux qui l’ont défendu aurait sûrement été sensiblement différente. Sûrement aurait-il reconnu qu’un extrait de seulement dix secondes, totalement déconnecté de sa mise en contexte, était clairement insuffisant pour émettre un jugement péremptoire et à l’emporte-pièce sur un individu. Aurait-il peut-être précisé alors qu’en se livrant ainsi à l’insulte facile, il s’était gentiment laissé aller à un réflexe grégaire, conditionné par son milieu, lequel l’avait poussé à l’invective à l’égard d’un inconnu qui, par son seul langage, avait trahi une appartenance sociale étrangère à la sienne. En somme, il aurait pu montrer comment un philosophe philosophait, c’est-à-dire en prenant conscience des représentations dont il était victime, en apprenant à penser contre lui-même, bref en raisonnant. Alors là, oui, pour le coup, Raphaël Enthoven nous aurait donné une belle leçon de philosophie, accessible à tous et qui aurait eu pour grand mérite de calmer tout le monde. Oui, cette preuve de grandeur d’esprit aurait alors démontré la force de la philosophie et de la raison face aux problèmes du quotidien. Quel grand philosophe Enthoven aurait alors été. Mais non. Il faut croire que la philosophie sur France Culture n’a rien à voir avec celle qu’on nous apprend à l’école. A lire Enthoven, son insulte était totalement justifiée. Connaître qui dit quoi et dans quel contexte il le dit n’a pas d’importance : l’utilisation d’un langage non-soutenu suffit à disqualifier l’adversaire et les idées qu’il défend. Fin de la leçon. Alors soit, on peut s’en tenir à cette version là de la philosophie à la Enthoven. Mais si on s’attache à l’étymologie et à l’histoire des mots, on est tout de même en droit d’aboutir à d’autres conclusions. Ça, chers lecteurs, ça ne s’appelle pas de la philosophie, ça s’appelle de la politique. Car oui, en fin de compte, ce Durendalgate ne cache pas une question d’offense faite à des personnes. Il ne cache pas non plus un débat philosophique passionnant sur la démocratie. Ce qu’il cache, c’est une lutte politique AU SEIN de la démocratie, et c’est en cela qu’il est passionnant.

 

http://media.rtl.fr/online/image/2013/0611/7762224620_raphael-enthoven-l-invite-du-jour-du-11-06-2013-dans-a-la-bonne-heure.jpgVoilà bien deux pratiques différentes et opposées que sont la rhétorique philosophique et la rhétorique politique. La première cherche à questionner les concepts le plus clairement du monde, afin que tout à chacun puisse entrapercevoir une vérité au milieu des représentations trompeuses. La seconde cherche par contre à confirmer des représentations trompeuses afin que la vérité soit dissimulée au plus grand nombre et cela au profit de seulement quelques uns. En son début d’article, Enthoven demande quel « crime » a-t-il bien pu lui valoir cette « chasse aux sorcières » dont il s’estime victime ? Comme sa jeune étudiante, le philosophe pose le langage comme seul étalon. Il affirme qu’on lui reproche juste d’avoir qualifié, pourtant à raison juge-t-il, de « bave de crapaud » une « saillie » appelant « publiquement au meurtre d’un homme ». Pourtant non, M. Enthoven. Ce qu’on vous reproche sur ce coup-là, c’est que vous fassiez preuve de premier degré là où toute personne ayant vue la vidéo de Durendal pouvait comprendre qu’il s’agissait là d’un vocabulaire imagé. Que le propos de Durendal soit pertinent ou non, la question n’est plus là. A quoi bon oublier à cet instant précis, en bon philosophe que vous êtes, de questionner justement le langage ? Pourquoi refuser l’analyse qui consiste à prendre en compte le contexte dans lequel est produit ce Cinéma de Durendal ? Cette chaîne Youtube, comme beaucoup d’autres, a opté pour une logique de vulgarisation adressée aux masses. Et pour se faire, elle a adapté son langage et ses références culturelles pour s’affranchir des convenances mondaines de la haute bourgeoisie parisienne dans laquelle la masse ne se reconnait pas. Oui, Durendal a fait le choix de ce qu’on appelle (sûrement à tort) le trash talking : un registre de langue plus en contact avec la culture de masse et se voulant volontairement iconoclaste à l’égard du langage bourgeois. Ne pas vouloir comprendre les codifications du langage afin de faire dire aux mots, non pas ce qu’ils ont voulu dire, mais ce qu’on veut leur faire dire dans une logique partisane et partiale, ce n’est pas un exercice de clarification afin de mieux philosopher, c’est un exercice de duperie qui ne nourrit que des fins politiques. Car oui, même si Raphaël Enthoven s’efforce de transformer des particularismes culturels qui lui sont exclusifs en vérités universelles, c’est parce qu’il sent bien que la société qu’il défend est en train de vaciller et qu’il cherche à rallier ses troupes dans cette révolution de l’ombre qu’il tente d’étouffer en la taisant…

 

 

De quoi Raphaël Enthoven est-il le nom ?

 

http://idata.over-blog.com/2/70/65/85/Articles/Images/enthoven-et-raiman-photo-dr.jpgIl s’amuse le philosophe… Il cherche à tourner l’affaire en dérision, comme si elle n’avait que peu de sens. Mais pourquoi revenir dessus si la question est si anodine ? Si Enthoven parle, c’est qu’il a peur. Il voit bien que quelque-chose est en train de changer avec Internet. Il sent bien cet air de révolution qui est en train de souffler sur ce Palais des Tuileries qu’est Radio France, palais dans lequel il pensait pourtant pouvoir tranquillement tenir salon. Il a beau vouloir faire l’intrigué quand on le qualifie « d’anti-révolutionnaire », pourtant il rappelle bien derrière aux gens qui parlent sa langue et qui partagent sa culture de classe qu’une armée de Durendal est en train de se constituer et que c’est un danger. Mais la vraie question c’est : un danger pour qui ? De quelle révolution est-il question là ? Sommes-nous revenus au temps des coupeurs de têtes et des adeptes de la Grande Terreur ou bien Enthoven confond-il avec un autre type de révolution, bien plus sournois celui-ci, qu’est la révolution de l’accès au savoir ? Car non, Internet ne fait par émerger des Durendal coupeurs de tête (du moins pas au sens littéral du terme). Bien au contraire, Internet fait émerger un nouveau type de modèle culturel que la classe au pouvoir ne contrôle pas, et c’est cela le vrai problème d’Enthoven.

 

http://remarque.as.nyu.edu/docs/CP/3410/ecole-normale-superieure.jpgIl n’y a encore pas si longtemps, pour contrôler l’opinion politique de la masse, ainsi que la richesse qu'elle produisait, il suffisait de passer par ces grands séminaires de la République française que sont les grandes écoles. ENA, ENS, Polytechnique, Centrale, Sciences-Po : autant d’institutions formant l’élite qui se devra de reproduire et préserver le système et la hiérarchie en place. Si les énarques avaient davantage vocation à confisquer les instances de pouvoir, les normaliens comme Enthoven avaient quant à eux le rôle de devenir les grands prêtres d’une société devant nous apprendre à nous, la masse, comment penser, comment interpréter les philosophes, comment aimer l’art, comment sublimer le langage. Bien évidemment, les bons philosophes sont bien plus les Tocqueville que les Habermas ; les bons films sont forcément les Godard plus que les Jeunet et les bons mots ceux de Molière plutôt que ceux de Kool Shen. Peut-être certains trouveront-ils cela logique, même si une récente étude a démontré que le vocabulaire employé dans un album de rappeur US est finalement bien plus riche que l’intégrale de William Shakespeare. La réalité c’est qu’aucune culture n’est supérieure à une autre, le but de l’ENS et de cette horreur qu’on appelle le Ministère de la Culture (Orwell l’aurait sûrement appelé le ministère du bon goût accepté et subventionné par l’Etat) c’est simplement d’assoir dans l’esprit des gens que tous ces traits culturels propres à la classe dominante, et qu’on s’efforce d’ailleurs souvent de laisser obscurs pour les masses, sont en fait les composantes d’une culture supérieure à toutes les autres. Faire croire cela, c’est asseoir la domination d’une élite qui en maitrise les codes. Et quand Enthoven, en bon bobo parisien, passe par les grands radio-crochets de prêtres que sont Henri IV et l’ENS, il pense que désormais c’est bon, il va pouvoir accomplir son œuvre de conservatisme social et intellectuel. Qui d’autre se risquera-t-on à inviter dans les grandes émissions télés ou de radio, tenus par des copains de « classe » ? On invitera un grand prêtre comme lui et il servira son sermon, comme tant d’autres avant lui depuis la Révolution française. Le peuple apprenant à se faire une représentation du monde à la télé comme autrefois on se la faisait à l’église auprès du discours du curé, Enthoven pensait la messe dite et le contrôle total… Seulement, comme l’Eglise fut surprise et rapidement débordée par l’invention de l’imprimerie, la noblesse et le clergé d’aujourd’hui découvrent à quel point ils ont eu tort d’avoir négligé la diffusion d’Internet…

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d3/Tocqueville_by_Daumier.jpg/220px-Tocqueville_by_Daumier.jpgComme la première presse de Gutemberg avait pondu une Bible, les tenants de la haute société pensaient certainement qu’Internet ne servirait qu’à faciliter les achats des produits conventionnels ; de transmettre autrement la bonne parole, bref de reproduire la pyramide sociale déjà en place. Il n’était pas question de faire des raccourcis dans le réseau et encore moins de permettre à la base de se chercher des nouvelles têtes. Le problème pour Enthoven, ce n’est pas que Durendal s’exprime en bien ou en mal sur Godard, le problème c’est qu’on l’écoute, et qu’on a l’impression d’avoir là suffisamment d’outils de compréhension du cinéma pour se passer des Télérama et autres cahiers du cinéma. Elle est là l’armée de Durendal que craint Enthoven : ce sont les Karim Debbache ou Fossoyeurs de films qu’on écoute davantage que les Jean-Marc Lalanne ou autre François Bégaudeau ; ce sont les points de vue politiques d’Alain Soral ou autre Usul à qui on prête davantage attention qu'à ceux des Jean-Pierre Aphatie et autres Patrick Cohen ; ce sont les DanyCaligula et autres Michel Onfray dont on reconnait davantage la pertinence de la démarche intellectuelle que celles des classiques Alain Finkielkraut et autres Raphaël Enthoven. Les élites sont en train de perdre leur place, alors il convient de dénigrer de l’Internaute. Il est forcément anonyme, insultant, inculte, vulgaire… Journalistes, politiques et autres philosophes conventionnels ne perdent jamais une occasion de dénigrer ce qu’Enthoven appelle la foule. Mais s’il parle de foule, c’est parce qu’il n’ose pas employer trop clairement le mot qui traduit le mieux sa pensée. Ce qui dérange vraiment Enthoven, c’est le peuple. Comme il le dit si bien, on s’en moque de savoir si Durendal est cultivé ou non. Pas besoin de le connaitre : il est le peuple, par son langage il a montré son camp : il faut le disqualifier et le discréditer socialement. Et s’il faut pour cela tordre dans tous les sens le propos de Tocqueville pour lui faire dire qu’il est malsain que le peuple se rapproche trop des élites au pouvoir, alors Enthoven ne s’en privera pas. Oui, Raphaël Enthoven est le philosophe qui ose vous affirmer que la meilleure des démocraties, c’est celle où le peuple n'a aucun pouvoir. A le croire, le peuple peut parler mais il ne faut surtout pas qu'on l'écoute. Et si Enthoven a besoin d’une vache sacrée comme Tocqueville pour bénir ses propos, il ne s’en privera pas : la preuve avec ce fameux Gai Savoir du 21 décembre... Ce que notre cher philosophe n’a pas compris, c’est que son effort est vain. Raconte ce que tu veux sur Tocqueville, Raphaël, grâce à la magie d’Internet le peuple est désormais émancipé de ton interprétation et peut aller directement lire l’auteur par lui-même à la source… Eh oui, maintenant ça marche comme ça. Des Durendal il y en a partout, il y en aura de plus en plus, et dans tous les domaines. Il va falloir s’y faire…

 

 

Conclusion : il était une fois Internet…

 

http://monmedia.org/wp-content/uploads/2014/06/durendal.pngFinalement, que tirer comme leçon de ce Durendalgate ? Plein de choses en fin de compte. Cette polémique nous révèle l’hypocrisie d’une philosophie qui n’en est pas une ; d’une haute culture qui n’est en fait qu’une culture d’élite et surtout, d’un mouvement populaire qui semble encore s’ignorer. Quel dommage en fin de compte, que cette affaire soit tombée sur Durendal. C’était quelqu’un de trop naïf, singeant avec un peu trop de pédanterie les tons sentencieux et doctrinaux des vrais maîtres du savoir. C’était une cible trop facile. Et c’est dommage parce qu’au-delà de ça, Durendal incarne quand même un regard alternatif  à cette culture de l’étalage et de l’exclusion ; il assume (presque) totalement la place de ses goûts personnels et de leur totale subjectivité ; il cherche à porter l’érudition sur des œuvres populaires qui d’habitude ne rencontrent que le plus grand des mépris de la part des hautes sphères. Durendal n’a sûrement pas compris ce qui lui était arrivé. Il ne le comprend sûrement toujours pas. Mais qu’importe. Durendal a repris son activité comme si de rien n’était, ne changeant pas d’un iota son attitude et sa démarche. Et il a eu raison, car c’est ainsi que la révolution est en train de se gagner tout doucement…

 

http://www.babelio.com/users/AVT_Alain-Finkielkraut_2953.jpegEnthoven pourra dire ce qu’il veut : ce qu’il dira, il ne le dira que pour les siens, ceux qui sont persuadés qu’une élite fermée à la culture bien close et stigmatisante doivent garder les commandes du pouvoir et du bon goût. Durendal, lui continue de parler à de plus en plus de monde. Il parle aux gens qui apprécient ses reviews, aux gars peu convaincus mais qui sont quand même curieux de connaître le regard honnête qu’il porte sur les dernières sorties (comme moi) ; tout comme il parle aussi aux haters qui trouvent qu’il se la raconte trop et qu’il se devrait bien de la fermer. De plus en plus de monde écoute Durendal ; parle de Durendal ; débat du point de vue de Durendal. Et peut-être que la réciproque est aussi vraie du côté de France Cul ! Aujourd’hui avec Internet, tout le monde donne son avis sur tout, puis tout le monde donne son avis sur les avis des autres. Alors certes, le propos du philosophe d’Henri IV est évalué au même niveau que celui du lycéen de 15 ans coincé dans les tréfonds de son Auvergne, mais c’est justement ça ce qu’on appelle la démocratie. Chaque auteur ne dispose plus d'une aura de principe. Seule la pertinence du propos tranchera auprès du peuple. C’est sûr qu’on est loin des salons où on est sûr d'avoir fait le ménage par rapport aux idées et aux comportements qui gênent : en démocratie il y a de tout, ça clashe parfois crûment sur des vérités qu'on croyait pourtant universellement acquises ; ça dérape souvent ; mais il y a toujours au milieu de tout ça quelque-chose de frais, de pertinent, de nouveau. Oui, c’est ça le peuple, et c’est très bien comme ça. Du peuple peut jaillir la pertinence. La lecture pertinente peut venir de la rue autant qu’elle peut venir d’Henri IV. Si le but de l’homme sortant de l’ENS est bien la sagesse, il ne devrait pas craindre de remettre en cause ses propres représentations, effort qu'il juge si indispensable chez l'autre et si peu chez lui...

 

http://chickon.files.wordpress.com/2013/11/947016_153500334831834_215892890_n.pngAlors que faire ? Mais pardi : rien ! Du moins, rien de plus que ce que nous faisons déjà tous ici sur la toile ! Commentons, questionnons, débattons, de cinéma ou d’autres. Nous n’avons pas besoin de l’aval de Paola Raiman ou de Raphael Enthoven pour dire ce que nous pensons et ressentons. Si nous pouvons écouter leur point de vue pour questionner le nôtre, nous n’avons nulle obligation à nous conformer à leurs visions du monde de la culture, et c’est d’ailleurs certainement cette prise de conscience qui les dérange le plus. Ainsi, que Durendal continue son cinéma, qu’on l’aime ou non, tandis qu’ici aussi on se décidera à parler encore et toujours de cinéma, d’une autre façon qui ne lui est ni supérieure ni inférieure. Que tout le monde continue à penser et à donner son envie sur la toile, sans intermédiaire bourgeois indispensable. C’est ainsi que la révolution avance doucement et pacifiquement, et c’est très bien comme ça…

 

 

 

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