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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 19:36

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Eh oui ! Ca y ressemble et c'est bien ce à quoi ça ressemble ! Encore un article de prêchi-prêcha se diront certains. Encore un billet d'humeur au lieu de partir à l'exploration d'une œuvre de cinéma, se diront d'autres ! C'est vrai que je commence à les multiplier ces articles qui se contentent d'exprimer un de mes points de vue du moment… D'ailleurs, j'avoue qu'à chacun d'entre eux, j'en viens à craindre le radotage. Alors oui, c'est vrai, chaque écrit de ce genre risque un peu plus chaque fois de m'éloigner de la posture initiale de ce blog qui entend avant tout se limiter à la découverte de certaines œuvres sur lesquelles on porte un regard biaisé ou trop facile. La découverte… C'est vrai qu'il est tellement plus constructif de partager ses coups de cœurs que ses coups de gueule, de faire découvrir plutôt que de faire fuir… Pourtant le temps passe, et certaines de mes expériences dans cette exploration encore bien jeune du septième art me réservent encore souvent des surprises et des questionnements sans cesse inattendus et même parfois dérangeants pour quelqu'un qui, comme moi, peut être qualifié de « cinéphile ».

                             

« Cinéphile… » C'est assez étrange, mais plus mon exploration du septième art s'étend et s'enrichit et plus je cherche à me dégager de ce qualificatif alors que pourtant il devrait sans cesse plus me seoir. Pourtant le cinéphile, à prendre la racine grecque du mot, c'est par essence celui qui aime le cinéma. Il s'agit juste d'amour, d'affection… de plaisir. Même si j'estime en toute sincérité nourrir un réel plaisir face au cinéma – et donc une profonde affection – il est des propos tenus ici ou là qui semblent démontrer qu'un cinéphile, au contraire, ne peut se limiter au simple amateur de cinéma. Parcourir les forums, entretenir des discussions avec des « vrais » cinéphiles, ou bien encore lire la presse ou les blogs, ramènent souvent les mêmes idées sous-entendues. Aller sur le forum du « Club 300 »  – justement  un regroupement de « véritables » cinéphiles à en croire Allociné – est en soit une bonne compilation. Entre vrais cinéphiles, enfin purgés des « imposteurs », on peut enfin avoir des discussions justement propres à ce qui doit être un vrai cinéphile. Echangeons notre top 10 des films des années 1940, 1930, 1920, etc… Un top 10 des meilleurs films de Bergman, quelle est votre plus grande expérience de cinéma en noir et blanc ?... Face à cela, soudainement, je me sens tout petit… Des films en noir et blanc, j'en ai vu quelques uns, mais ce sont quelques grains de sable parmi le bac des films que j'ai eu l'occasion de voir lors de ma courte existence… C'est évident que la plupart de ces membres du Club 300 semblent avoir vu des milliers de films de plus que moi, et surtout que leur connaissance semble toucher tous les pays de toutes les époques (je sens déjà l'ami DanielOceanAndCo tiquer en lisant « tous les pays »…) Il semble évident que leur exploration est immense par rapport à la mienne et que leur amour du cinéma a certainement été plus dévorant que le mien pour qu'ils aillent aussi loin au niveau de leur exploration du cinéma, et parfois en si peu d'années d'existence… Eux qui ont tellement exploré, qui ont tellement embrassés toutes les époques de tous les genres… Il semble tellement évident que c'est eux qui ont la vision la plus large qui soit du cinéma, qui savent ce qu'il est vraiment, et qu'à côté, le petit explorateur que je suis peut être, certes considéré comme un cinéphile pour la pureté des intentions, mais n'en demeure pas moins qu'un petit cinéphile à côté de ces cinéphiles de l'absolu…

Collection AlloCiné / www.collectionchristophel.fr   

Ainsi, le mot « cinéphile » me semble de plus en plus étranger, car « cinéphile » ne semble pas se limiter à l'amour que l'on porte au cinéma mais à l'étendue des connaissances que l'on a de sa multitude d'avatars. Ainsi peut-on attendre justement des cinéphiles qu'ils nous guident, qu'ils nous montrent les chefs d'œuvres incontestables, les pièces maitresse du sacro-saint septième art pour espérer enfin savoir ce qu'est ce véritable amour, celui qui nous échappe et qui, à les écouter, nous fait véritablement défaut. « Cela me fait toujours bien marrer de voir des mecs qui se prétendent cinéphiles mais qui sont incapables de te citer un film d'avant leur date de naissance » disait un membre du Club 300. « C'est tout de même incroyable que quelqu'un qui regarde Twilight soit jugé au même niveau qu'un adorateur d'Hitchcock en disait un autre ». Et tout ceci n'est finalement que l'expression sans voile d'une idée qui rôde dans les mœurs de notre société et qui est véhiculée quasiment partout dans la presse et dont Laurent Delmas, chroniqueur de France Inter se fait le chantre : « un jour le temps viendra ou un critique de cinéma n'aura pas vu l'Aurore de Murnau… » Dans ces moments, face à un propos-couperet aussi aiguisé, on se retrouve tout de suite avec le reflexe de se poser la question : « Mon Dieu, ai-je vu l'Aurore ? » Et soit s'en suit le « ouf » de soulagement de celui qui est in, ou bien soit s'en suit la culpabilisation extrême de celui qui se considérait comme cinéphile et qui est en fait out. Paradoxalement, je faisais parti de ceux qui avaient vu l'Aurore… et malgré tout je ne ressentais aucun soulagement… Je ne me sentais nullement cinéphile… « Oui intéressant », me souviens-je… mais sans avoir le souvenir d'une transcendance absolue. Alors de deux choses l'une : soit je ne suis pas cinéphile et je ne m'en réclamerai jamais car visiblement les portes sacrées de l'amour véritable du cinéma me seront à jamais fermées, soit il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark… Alors certes, cela peut relever de la question byzantine et nombriliste, pourtant il me semble que toute personne amoureuse du cinéma (dont vous faites sûrement partie puisque vous lisez un blog Allociné !) gagne forcément à se poser cette question : mérite-t-on vraiment qu'on nous qualifie de « cinéphile » ?

 

 

Face au révélateur d'âmes, le film en noir et blanc…

 

(…antérieur aux années 50 de préférence !)

 

Ô toi qui prétends mener la quête du Saint Graal cinématographique, voilà ton épreuve ! Voilà l'ultime révélateur de ta nature profonde de cinéphile : sauras-tu t'émerveiller, te laisser transcender par les chefs d'œuvres de l'ancien temps ? Combien de fois l'ami Caine78 m'a-t-il fustigé de n'avoir jamais vu un film d'Ernst Lubitsch ou autre film de Capra, Bergman ou Mankiewicz ? Ainsi, malgré le manque de temps, malgré mon attrait plus spontané vers les films d'aujourd'hui qui se parent des plus beaux atours des techniques modernes de cinéma, me suis-je dit qu'il fallait que je me risque de temps en temps, que je me « force » à m'ouvrir à la quintessence de cet art qui me séduit tant. Ainsi, voilà que depuis quelques mois, naviguant d'Arte aux DVD généreusement prêtés par mon aimable voisin que j'ai amorcé à nouveau mon exploration des anciens temps. De To be or not to be de Lubitsch, en passant par les chasse du comte Zaroff, jusqu'au Grand Sommeil avec ce cher Humphrey Bogart (et encore je ne les cite pas tous…),  je me suis efforcé d'élargir le plus possible mes horizons en suivant les conseils avisés des uns et des autres. Pourtant, c'est en février que soudainement mon idée s'est fixée, comme une révélation. En effet, Arte diffusait ce lundi-là (note. Le 15 février 2010) les Fraises sauvages du grand et fameux Ingmar Bergman, auteur qui nous a quitté il y a peu. J'avais déjà tâté du Septième Sceau mais, m'avait-on dit, ce n'était pas le plus révélateur de l'art de Bergman. Par contre, à lire les critiques d'Allociné (et le fameux forum des 10 meilleurs films de Bergman !), ces Fraises sauvages faisaient partie de ses chefs d'œuvres ! Même l'ami DanielOceanAndCo s'y accordait. Et donc, là – bim ! – ce qui me semblait probable auparavant me parut limpide une fois ce film visionné. Pour quelqu'un de ma génération, il est quasiment inconcevable d'être touché par la grâce de manière spontanée par un film de cette époque et de ce style. Un travail de mise en condition est clairement indispensable.

    

« Ouille ! Ca y est ! Il a dit ce qu'il ne fallait pas dire : il a dit du mal de Bergman ! Tu m'étonnes qu'il ne se considère pas comme cinéphile ! Sûrement doit-il lui préférer Besson ! » Voilà sûrement ce que la lecture de la dernière phrase de mon précédent paragraphe a du faire immédiatement germer dans l'esprit de certains d'entre vous ! Pourtant du calme, chers lecteurs ! Nul mal n'est dit sur ce cher Bergman. Avancer l'idée que, pour une personne qui ne lui est pas contemporaine, on ne peut être bouleversé spontanément par un des films ne veut pas dire que le sentiment que fait naître ce film est simulé. Seulement voilà, la vraie question qui, d'après moi, devrait nous animer quand on parle d'un Bergman n'est pas forcément de savoir si on aimé ou pas, mais surtout de savoir pourquoi on a aimé ou pas. Après tout, ces Fraises sauvages ne sont même pas en couleur, le son est minable par rapport aux performances THX d'aujourd'hui, et les scènes de dialogues sont souvent interminables, qui plus est dans des situations scéniquement très figées... Un réalisateur se permettrait de mener une réalisation aussi plate et des symbolismes aussi marqués de nos jours et voilà qu'il se ferait tailler en pièces, par ceux-là même d'ailleurs qui encensent Bergman ! Seulement voilà, tout le monde sera bien d'accord pour dire qu'on ne peut juger un film des années 1950 avec les critères d'exigences du XXIe siècle. On ne peut reprocher à des réalisateurs d'avant 1980 de ne pas utiliser la steadicam, comme on ne peut reprocher à des films de la première moitié du XXe siècle de construire leur propos de façon très théâtralisée, où le dialogue peut occuper l'écran des minutes entières sans que le réalisateur ne daigne enrichir le sens ou la fluidité de ses scènes grâce à une codification formelle qui ne s'est forgée que plus tard… Alors oui, commençons d'abord par admettre ce qui me semble pourtant l'évidence : l'appréciation de ces films ne peut se faire que suite à un conditionnement mental, celui qui amène à tolérer ce qu'on ne tolérerait pas pour des spectacles contemporains, d'endurer ce qu'on n'accepte pas d'endurer aujourd'hui. J'aime l'idée de dire que voir des films d'avant sa date de naissance est une épreuve car oui, c'est avant tout éprouvant, d'accepter d'être moins exigeant.

Victor Sjöstrom et Ingrid Thulin. Collection Christophe L.  

Peut-être y en a-t-il qui grommellent devant leur écran en me lisant, mais c'est pourtant bien là la première idée qu'il nous faut assimiler pour découvrir la véritable nature de ce qu'on présente aujourd'hui comme un cinéphile. La sensibilité à l'art, à la beauté, ne relève pas de l'évidence : c'est une construction culturelle et sociale, beaucoup plus intellectualisée qu'on ne pourrait le présupposer au début. De la même manière qu'on serait moins exigeant en lisant la rédaction ou la pièce de théâtre d'une petite fille de 8 ans et qu'on solliciterait d'avantage sa sensibilité à ce qu'il y a « d'inattendument plaisant » (désolé M. Pivot) dans un tel spectacle plutôt que sur ce qui manque par rapport à nos habitudes (à moins qu'on ne s'appelle Royal Tenenbaum !), on fait de même avec les vieux films qui s'efforcent de transcender l'art avec parfois peu de moyens, et surtout peu de background technique. Que Keaton réussisse à faire rire sans son, que Bergman sache nous faire frémir face à la mort malgré le manque d'effets spéciaux modernes pour l'incarner, cela nous surprend. C'est « l'inattendument plaisant ». Ainsi se dit-on que ces gars là qui ont réussi ce sacré tour de force à une époque où il était difficilement concevable qu'on y parvienne sont ceux qui ont indéniablement fait avancer le schmilblick… et à raison ! Seulement voilà… C'est au prix d'une remise en situation, d'une sollicitation de nos connaissances en terme d'histoire du cinéma, bref d'un conditionnement intellectuel, que l'accès au plaisir de ces films est possible. Or, accepter que nos sentiments, que nos perceptions, sont tous le fruit d'un déterminisme social, c'est souvent cela que l'on finit par rejeter. Pourtant c'est clairement cela qui définit la nature du cinéphile. Un cinéphile se détermine en fonction de son conditionnement culturel, en fonction du déterminisme social dont il est le produit. Une famille qui nous a nourris de vieux classique, des cours à la fac qui nous ont prédéterminé la nature d'un « chef d'œuvre » ou bien tout simplement des relais sociaux plus discrets mais tout aussi efficace que sont les médias, les amis, les collègues, etc… L'amour cinéphilique est donc affaire de déterminisme social. L'accepter, c'est s'offrir une clef de compréhension sur le cinéphile, mais surtout sur l'individu que l'on est vraiment.

 « Disons que ça ne m'a pas semblé crédible... Une bande de gosses ringards en costume d'animaux ? »

 

 

Ainsi, il me parait évidement qu'aimer Les fraises sauvages ne démontrent pas que votre amour voué au cinéma est plus fort, et donc plus pur, que l'amour de celui qui se limite au seul blockbuster du mois. Aimer les fraises sauvages ne démontre en fait que la nature de votre milieu culturel. Finalement il n'y a pas plus d'émotions dans les Fraises sauvages que dans n'importe quel autre film, car par définition un film ne peut contenir de l'émotion, il se contente juste de la susciter. Ce qui suscite notre émotion dans les Fraises sauvages, surtout quand on n'est pas contemporain de ce film, c'est qu'on ait su être touché par une œuvre qui nous parait pourtant étrangère dans ses codes et dans sa période. Le fait qu'on ait pu créer un pont émotionnel avec une personne pourtant aussi éloignée de nous – en l'occurrence un artiste suédois du milieu du siècle dernier – nous en apprend parfois plus sur notre capacité d'ouverture à la culture, et donc sur notre largesse d'esprit, qu'en regardant un film formaté pour la période et pour la civilisation à laquelle nous appartenons de facto. Ainsi, il me semble qu'on se leurre totalement en pensant que l'amour du cinéma puisse se définir en fonction du nombre ou de la qualité (au sens littéral du mot) des films que l'on a vus. Découvrir qu'on aime Bergman, comme découvrir qu'on aime Lubitsch ou Michael Bay ne nous apprend rien sur notre degré d'amour du cinéma, il nous apprend à découvrir ce que nous sommes vraiment, en tant qu'individu. A quelle culture suis-je sensible ? A quel milieu j'appartiens ? Quels sujets personnellement me parlent le plus ?... Notre émotion face au cinéma nous en apprend moins sur le cinéma que sur nous même. Ainsi pourra-t-on s'étonner de ceux qui prétendent qu'il y a des chefs d'œuvres indiscutables, des films que tout le monde « doit » aimer. Bien évidemment jamais on ne dit ouvertement qu'on force les gens à aimer, ou qu'on ne respecte pas leur émotion quand ils n'aiment pas un chef d'œuvre « pourtant reconnu comme tel »… il n'empêche malgré tout que d'après Delmas on perd tout droit de Cité en terme de cinéma si on a le malheur de rejeter l'Aurore de Murnau… Pourquoi donc cette dictature du chef d'œuvre incontournable ? Et pourquoi donc les films de Bergman, Lubitsch et consorts affichent si souvent des 0% de zéro étoile ?

 

 

 

Entre la dictature de la pensée et le « syndrome de la Sixtine ».

 

 Accepter l'idée que notre approche au cinéma n'est au fond qu'une approche subjective qui nous en apprend plus sur nous-mêmes que sur le cinéma, c'est finalement s'ouvrir à un regard nouveau sur ce qu'on entend vraiment par être « cinéphile ». Car à bien y réfléchir, quand nos grands explorateurs du cinéma affirment « bien se marrer » (traduire : se foutre de la gueule) de ceux qui se prétendent cinéphiles sans avoir vu un seul film qui date d'avant leur naissance, ils ne font en fin de compte que mépriser ouvertement les personnes qui ne s'associent pas au système de valeurs et de représentations socio-culturelles qui sont les leurs. Aimez Twilight sans avoir vu d'Hitchcock et vous serez un sot ! Cela ne se discute pas ! Par contre, on peut parfaitement aimer Hitchcock sans avoir vu Twilight, cela ne vous empêchera pas d'être considéré comme « véritable cinéphile ».  Je m'adresse alors à vous, cher lecteur qui a eu le courage d'aller jusqu'à cette ligne : même si Twilight vous a horrifié tandis que les films d'Hitchcock vous ont fait rêver, ne voyez-vous pas là une incompatibilité entre d'un côté l'idée que la cinéphilie ne reposerait que sur « l'amour du cinéma » (quoi de plus subjectif que l'amour ?) et de l'autre côté qu'on l'on considère certaines choses objectivement plus dignes d'être aimées que d'autres ? Si cette incompatibilité vous apparaît à l'esprit, alors c'est qu'il faut bien se rendre à l'évidence qu'à considérer des films comme indiscutablement bons, on subit les préjugés du milieu socio-culturel auquel on appartient.

Sommes-nous alors plus enclin à aimer les Fraises sauvages plutôt que Twilight parce que nous subissons le formatage de notre milieu ? L'idée fait frissonner tant elle remet de choses en cause par rapport à l'individu que nous sommes et la spontanéité de notre façon d'être. Pourtant, reconnaissons bien qu'avant même de découvrir un auteur ancien fortement réputé, on espèrera inconsciemment ne pas se retrouver dans la posture du seul gars à avoir détesté le film. Cette peur, c'est l'expression même de ce formatage, de cette pression sociale, qui va faire que dans notre inconscient on sera surtout attentif à « l'inattendument plaisant » plutôt qu'aux intolérances usuelles que l'on a face à nos référents contemporains. C'est cette pression sociale qui explique le 0% de zéro étoile aux Fraises sauvages (du moins cette information était-elle encore vraie en février), bien plus que le fait que ce film soit universellement plaisant… Ce conditionnement est sournois car c'est clairement une forme de dictature de la pensée. Il est tellement effrayant qu'au simple fait de l'évoquer, on cherche à se convaincre en même temps qu'on en est pas victime, ou du moins qu'on ne l'est que très légèrement… Pourtant, nous le sommes tous, et toujours plus qu'on ne l'imagine. Car ce formatage ne se limite pas qu'à cette seule dictature de la pensée qui serait la peur de mettre zéro à un film que la société encense et reconnaît comme des « chefs d'œuvre indiscutables »… Ce n'est par parce qu'on a eu l'impression d'aimer sincèrement un film, découvert « au hasard » et sans arrière pensée, que pour autant on ne subit pas l'influence de son système de valeurs et de référents culturels. Ainsi, sommes-nous souvent victime d'une forme de conditionnement que, depuis l'été dernier, j'aime appeler le « syndrome de la Sixtine »…

Ingmar Bergman au travail. Collection Christophe L.

                                                                  Ingmar Bergman

 

Cet été, en effet, je me suis fait plaisir en allant visiter l'Italie et notamment Rome. Or, comme dans chaque destination touristique, il y a des étapes considérées comme « incontournables ». A Rome, le Vatican fait clairement partie de ces étapes incontournables et la Chapelle Sixtine est quant à elle l'incontournable du Vatican. Tout le monde connaît la chapelle Sixtine et sa fameuse fresque de Michel-Ange ! Tout le monde l'a déjà vu au moins une fois dans sa vie ou bien en connaît inconsciemment son principal motif représentant Dieu touchant du doigt Adam tellement ce motif est omniprésent dans notre société… On ne vient pas voir la Sixtine pour savoir si elle est belle ; on y va pour admirer sa beauté. Le fait que la fresque de Michel-Ange soit une des plus grandes merveilles de l'art renaissant italien est admis chez nous, et se retrouver face à la fresque originale ne peut soulever comme sentiment que des : « enfin je la vois ! Que d'émotion de se dire que je l'ai toujours connu, et qu'enfin je la vois sous son vrai visage ». Et ainsi on s'étonne en découvrant les détails qu'on ne voit que rarement, on est saisi par le moment solennel, bref les émotions fulminent… sans qu'on se soit posé une seule fois la question de savoir si la fresque nous plaisait vraiment… Combien de films jouissent du « syndrome de la Sixtine » ? Qu'il s'agisse de Citizen Kane, d'Il était une fois dans l'Ouest ou bien encore de Star Wars ? On les voit en se disant : « Ouah ! Ca y est ! C'est donc ça ! » Et il ne reste plus qu'à se laisser séduire par « l'inattendument plaisant », le détail de la Sixtine qu'on ne nous montre jamais mais qu'on voit en y étant… Alors après, certains diront que si la Sixtine est devenue ce mythe qu'elle est devenu, si Citizen Kane est devenu ce chef d'œuvre « immanquable », c'est bien qu'au départ ils ont plu au plus grand nombre, et que la raison à ce caractère mythique relève tout simplement de la qualité intrinsèque de l'œuvre ! Mais la question reste alors de savoir pourquoi une œuvre plait « au plus grand nombre ».

Pour répondre à cette interrogation qui consiste à savoir comment une œuvre atteint le statut de mythe immanquable, il me suffirait presque d'en finir avec mon histoire de visite de la Chapelle Sixtine. Comment cette chapelle est-elle devenue un mythe ? L'histoire de cette chapelle est pour cela très intéressante car au départ elle était justement réputée pour son manque d'attrait. Très sombre et enclavée parmi les murs du Vatican, le pape Sixte IV décida de l'orner d'une fresque techniquement inimaginable pour l'époque. En plus de sa dimension, elle avait pour principale difficulté d'orner des toits, ce qui impliquait de peindre couché et sans réel recul sur la surface peinte. Ainsi, quand Michel-Ange eut fini son ouvrage, cette chapelle était clairement considérée comme un chef d'œuvre sans égal, vendu d'ailleurs comme tel par le pape. Vu que tous ceux qui venaient  à la chapelle étaient essentiellement des religieux proches du pape ou des personnes qui cherchaient à bien se faire voir de lui, le discours de la magnificence de la fresque fut relayé… D'où ma surprise quand, après s'être nourri d'une semaine d'églises baroques romaines, elles aussi dotées de splendides fresques, on se retrouve dans une chapelle Sixtine finalement bien sombre et dont la fresque bien terne s'avère finalement très classique dans sa composition. Seulement voilà, pour qui vient non pas pour voir s'il aime, mais pour admirer ce qui a déjà été préconçu comme beau, la déception n'est même pas envisageable, et l'émotion ne peut qu'être présente. Pour qui cherche bien, chacun trouvera un film qui semble relever de ce que je permets d'appeler par facilité « le syndrome de la Sixtine ». Il suffit même parfois qu'un film ait de quoi jouer sur cet effet là pour se garantir un triomphe. New Line a vendu le Seigneur des Anneaux, non pas comme du jamais vu, mais comme la concrétisation au cinéma d'un mythe enfin devenu réalité : la trilogie de Tolkien enfin à l'écran. Ainsi, combien sont allés voir cette trilogie non pas pour voir s'ils trouveraient ça beau, mais pour admirer ce qui était déjà préconçu comme beau. Ainsi on ne se choque pas que le film soit découpé en trois, que l'action soient diluée dans des temps morts qui s'expliquaient par une trop grande fidélité à la trame du livre : non, le Seigneur des Anneaux était ainsi, on ne conçoit même pas que cela puisse être différent ! Alors, une fois les exigences réduites à presque rien, il ne reste plus qu'à se laisser émerveiller par « l'inattendument plaisant »… Je reste également persuadé qu'un film comme Avatar doit son succès et l'encensement qu'il connaît de par la grande science de Cameron a savoir construire son retour comme celui du Messie. Il suffit juste de jouer une bonne vieille recette derrière pour emporter les cœurs… Alors je vois déjà l'ami DanielOceanAndCo préparer ses émoticônes pour contre-attaquer en disant qu'Avatar n'en reste pas moins un spectacle sublime qui sait faire rêver. Effectivement, Avatar a vendu du rêve, mais comme la chapelle Sixtine il n'est qu'une performance technique hors-norme bien ancré dans son époque mais qui au fond reste fortement classique… Que prouvons-nous donc, en tant que « véritables » cinéphiles, à nous moquer des adorateurs de Twilight tout en affichant notre adhésion à ce qu'un système de valeurs données a défini comme des sacro-saints incontournables, que ce soient les Fraises sauvages, les Parrain, ou autres Seigneurs des Anneaux ? Que prouvons-nous donc finalement si ce n'est que nous sommes simplement en accord avec notre milieu socio-culturel ? …Finalement, pas grand-chose…

 

 

Que diable ! Soyons de « vrais » cinéphiles !

 

 A naviguer entre Avatar et les Fraises sauvages, certains doivent commencer à se dire que cet article perd le fil de sa pensée et commence à tirer dans tout les coins et sur tout ce qui bouge, tout cela finalement pour appliquer ce qui est finalement dénoncé : imposer une façon de penser et – pire encore – d'aimer. Ne vous mettez surtout pas à l'idée que le but de cette présente argumentation est justement de justifier tout le mal qu'on pourrait être en droit de penser des films précités. Pour vous le prouver, j'ai justement pris comme exemples des films que j'ai la plupart du temps aimé voir adoré (Citizen Kane et Avatar par exemple… J'avoue que le Seigneur des Anneaux serait l'exception). Nous sommes TOUS, l'objet de pressions sociales, y compris dans notre façon d'aimer. Ah cela, on est en droit de se dire : « Bon, OK, mais après tout qu'importe ce qui suscite chez moi l'amour tant que je connais l'ivresse d'aimer » (raisonnement sain soit dit en passant). C'est vrai, après tout, pourquoi se prendre la tête ?

  Sam Worthington. Twentieth Century Fox France

Qu'est-ce qui justifie le fait que quelqu'un qui aime Twilight sans aimer l'Aurore soit un plouc alors que l'inverse est tout à fait accepté ? Est-ce parce que Twilight est un film « moins bon » ? …Mais moins bon à quel niveau ? Finalement l'histoire d'amour de Twilight est bien mieux construite que l'Aurore pour ce qui est de séduire les jeunes midinettes : l'histoire est plus mièvre, l'accompagnement sonore s'y prête mieux, et le jeu des acteurs est bien plus mielleux… Tout est une question de point de vue après tout… Alors après un tel discours, certains se diront que soutenir une telle position est facile : c'est la fameuse rengaine « du goût et des couleurs » qui interdit finalement tout débat et tout échange sur le cinéma... Certains d'ailleurs, fort malins, ne manqueraient pas alors de me confronter face à ce qu'on pourrait juger être mes contradictions, notamment le fait que j'ai mis zéro à Twilight en le qualifiant de « 2h10 de rien » et de « piteux spectacle »… C'est vrai que cela pourrait me contredire… à condition que l'on prenne ma critique comme une vérité absolue plutôt que comme un point de vue purement subjectif. Par rapport à mon système de valeurs, à mon microcosme culturel, Twilight ne vaut rien. Il n'est rien. Cet avis n'a de sens réel que pour ceux qui me connaissent un temps soit peu et qui peuvent me considérer comme un référent culturel fiable, ou du moins clairement identifié… Et si échange il doit y avoir avec quelqu'un qui a mis 3 ou 4 étoiles à ce Twilight (prenons Diane_Selwyn par exemple, dont j'apprécie beaucoup le blog soit dit en passant…) cet échange ne se fera pas finalement sur le film intrinsèquement parlant, mais sur les valeurs de chacun, sur la sensibilité de l'un et de l'autre. Au fond, on pense discuter de cinéma en parlant d'un film, en fait nous parlons de nous-mêmes par l'intermédiaire du cinéma. Alors que Diane me dira qu'elle se reconnaît dans une telle vision évanescente de la relation amoureuse, moi je lui répondrai que j'ai bloqué sur un film qui entend désincarner et décérébrer les relations humaines, ce dans quoi je ne me reconnais pas du tout. Ainsi mené, le débat ne porte déjà plus sur Twilight, mais sur l'amour et la façon dont chacun le conçoit. Le cinéma est un contenant, pas un contenu… Le cinéma, comme tout art, c'est de l'échange de points de vue, de l'échange d'émotions, bref c'est la rencontre entre des êtres sensibles. Soit c'est la rencontre d'un réalisateur avec un spectateur, soit celle de deux spectateurs autour d'un film… S'entretenir du cinéma en considérant que la qualité de certains films ne se discutent pas, c'est opprimer l'autre avec son propre système de valeur, quand ce n'est pas s'opprimer soi-même. Cette posture ne peut s'appeler « cinéphilie », c'est de la dictature de la pensée… Purement et simplement.

  vs. Kristen Stewart et Robert Pattinson. SND

Certains trouveront certainement que j'enfonce là des portes ouvertes… Tout le monde s'est déjà senti victime de la dictature de pensée d'un autre, à tort ou à raison, et par conséquent ils pensent ne rien découvrir (Avoir subi tant de lignes de lecture pour seulement cela ???). Seulement voilà, sommes-nous tous aussi sensibles à la dictature que l'on s'impose à soi-même ? Pour être plus précis, se rend-on seulement compte de la dictature que nous imposent les limites sensorielles de notre propre milieu socio-culturel ? Pourtant il me semble que cette dictature est la plus fallacieuse qui soit : elle nous dit quoi aimer et quoi détester, bref elle nous manipule de l'intérieur sans qu'on en prenne forcément conscience… Cette cinéphilie là, je n'en veux pas

 

 

Conclusion : « cinéphile » vous dites ?

 

 Au final, doit-on réellement se flatter d'être appelé cinéphile ? Pour ma part, si la cinéphilie doit se résumer au fait d'être en mesure d'écraser l'autre de son avis en usant de références obscures, moi je dis « non », car ceci n'est pas ce qui me plait dans l'amour du cinéma. Si la cinéphilie c'est montrer à l'autre qu'on connaît les films que lui connaît alors que la réciproque n'est pas vraie, alors moi je dis non. Si la cinéphilie c'est un outil de sélection sociale pour faire bien en société, pour être en droit de faire partie du sérail, moi je dis non. Si la cinéphilie c'est devoir trancher les débats sur un cadrage raté ou une lumière tordue, juste parce que c'est une erreur technique qui ne se fait pas et non parce que c'est un choix qu'on n'aime pas, alors encore une fois je dis non. Si, par contre, la cinéphilie c'est celle qui permet à deux personnes de rentrer en contact sur des sujets que seuls le cinéma pouvait déclencher, alors là je dis oui, je veux bien qu'on me qualifie de cinéphile. Si la cinéphilie c'est s'ouvrir aux autres, s'ouvrir au monde, s'ouvrir à soi, alors pour ma part c'est encore oui. Si la cinéphilie nous fait sortir différent de comme on était entré, alors c'est toujours oui. Si la cinéphilie, c'est jouir, alors c'est définitivement oui. Si la cinéphilie c'est donner un titre de film non pas pour impressionner mais pour transmettre un possible média de jouissance, alors c'est oui. Si c'est pour ensuite pouvoir se servir de film pour échanger ses différences de sensations pour ainsi mieux se découvrir, alors c'est oui. Si c'est pour jouir à deux, à trois, à tout Allociné, au monde entier, alors c'est oui, oui, oui, quatre fois oui. Dans ces conditions, alors oui, je veux bien qu'on m'appelle un cinéphile… Le reste, pour moi, n'a finalement rien à voir avec le cinéma…

 

 

 



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