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1 septembre 2011 4 01 /09 /septembre /2011 09:31

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C’est LE phénomène ! LE film ! LA claque de cette année… Qu’il s’agisse du festival de Cannes, ou bien de la critique, tout le monde est d’accord : s’il y a bien un chef d’œuvre qui vient de sortir dans les salles, c’est le dernier film de Valérie Donzelli et de Jérémie Elkaïm : La guerre est déclarée. Alors, vous me voyez certainement d’ores et déjà venir : puisque la critique encense ce que je n’ai pas aimé, je vais alors sûrement cracher dessus, rouler le film dans la merde et je vais pestiférer contre le monde parisiano-bourgeois qui impose sa sous-culture à la France entière… Je pourrais… J’aurais pu… Mais non. Certes, je n’ai pas du tout aimé cette Guerre est déclarée, ça c’est un fait. Mais bon, de là à lyncher gratuitement et facilement les Donzelli et consort, je vous avoue que là n’est pas du tout mon intention. A les voir ces deux loustics, ils ont juste l’air d’avoir fait un film comme ça, juste pour faire leur catharsis, assez modestement : ils ne pensaient même pas rameuter autant de gens. La démarche est modeste après tout et, comme pour tout cinéma qui se veut sincère et honnête, il a bien évidemment le droit d’exister. Je dirais même plus qu’il doit exister...

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Mais alors où est le problème ? Le problème, il vient plutôt de la réaction de la société …ou plutôt de la « kinésphère » si je peux me permettre un tel néologisme. Dans la rubrique « critique presse » d’Allociné, tout le monde se touche en écrivant sur ce film. Dans l’émission Le Cercle, même Marie Sauvion vantait les mérites de ce qu’elle semblait considérer comme son grand coup de cœur de l’année. Et même des journalistes lambda comme Maïtena Biraben – qui n’est pourtant pas membre de la caste des critiques endimanchées – n’a pas pu s’empêcher de lâcher son petit commentaire ému lorsque Xavier Leherpeur faisait sa présentation du film. Le problème, pour moi, il est là… Enfin bon, si je dis qu’il y a un problème c’est aussi peut-être parce cette émotion – cette transcendance que tout le monde exprime si ouvertement – je ne partage pas du tout. Le problème viendrait donc peut-être de moi ! La question mérite d’être posée : suis-je un monstre ? N’ai-je aucune émotion pour ne rien ressentir face à ce film ? Sûrement me serais-je d’ailleurs apitoyé sur mon sort et inquiété sur ma disposition à ressentir des émotions si je n’avais pas déjà remarqué le développement de ce phénomène sociétal qui s’exprime depuis un moment au sein de la kinésphère (décidemment, je l’aime bien ce mot !) En effet, l’engouement pour cette Guerre est déclarée n’est pas si inattendu que ça. A mes yeux il participe d’un phénomène qui tend à s’affirmer de plus en plus dans la société : le goût pour l’histoire vraie…

 

 

Pour faire fort, faisons vrai…

 

 

Il suffit de s’attarder sur les sorties de ces derniers temps pour se rendre compte de la réalité du phénomène. Certes, il n’est pas majoritaire, mais il est de plus en plus visible. L’histoire vraie devient un argument de vente de plus en plus mis en avant dans la promotion des films. Cette Guerre est déclarée en est le plus clair exemple. Oui le film est fort, mais il est surtout fort parce que c’est une histoire vraie. Quand on fait venir Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm sur un plateau, c’est toujours la même chose : « Alors racontez nous comment on vit VRAIMENT une tragédie… » Le vrai… C’est devenu un argument porteur. « Allez voir ce film… car celui-ci au moins raconte du vrai ». Il y a d’autres films qui racontent des histoires de cancer ou de couples en proie avec un enfant malade ou mort, mais La guerre est déclarée est mieux, car ce film, lui, est un authentique témoignage… Alors, bien évidemment, jamais les critiques ne le présentent ainsi : ils parleront de l’originalité formelle, de l’utilisation habile des musiques, de la composition judicieuse des cadres… Mais bon, je ne peux m’empêcher de vous faire remarquer qu’à ce sujet il est toujours bien amusant de constater comment la plupart de ces critiques, Jean-Marc Lalanne des Inrocks en tête, peuvent utiliser ces arguments formels pour défendre un film, puis utiliser exactement les mêmes arguments formels pour en démonter un autre qui se vend au formalisme putassier quand le sujet ne leur plait pas.. C’est justement là la force de l’argument « histoire vraie » je trouve. Il transforme justement le « putassier » en « pertinent » dès que cette forme est au service du « vrai ». Tant qu’un film respecte la règle d’or du cinéma dardennien qui consiste à plonger son cinéma dans le misérabilisme, les artifices ne sont plus outranciers, ils deviennent d’habiles stratagèmes pour ne pas sombrer dans le pathos… C’est dingue, mais le « vrai » semble tout excuser, tout pardonner, tout justifier… Le « vrai » suffit à lui seul à légitimer un film en son entier. Que peut-on redire face au vrai ? Qui oserait dire à Valérie Donzelli que son film ne traduit aucune émotion alors qu’elle a vraiment combattu le cancer de son fils ? On en revient au bon vieux principe dardennien en vigueur en ce moment : le sujet fait la forme. Si le sujet est inattaquable, la forme le sera tout autant, qu’elle soit minimaliste ou ampoulée. Or, dans cette logique, l’histoire vraie devient par conséquent une arme absolue…

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Je vous laisse compter par vous-même le nombre de films qui se sont distingués ces derniers temps et qui sont en fait des histoires vraies, vendues et promues comme telles qui plus est… Aux derniers oscars, la question se posait de savoir qui allait gagner la précieuse récompense du meilleur film entre 127 Heures, une histoire vraie ; Le discours d’un roi, une autre histoire vraie, et… The Social Network, encore une autre histoire vraie ! En France, le film qui a triomphé il y a peu fut Des hommes et des dieux, l’histoire vraie des moines de Tibhirine. Dans la même veine, les films qu’on nous a fait retenir de ces derniers mois sont La conquête, l’histoire vraie de l’ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy ; mais aussi Omar m’a tuer, l’histoire vraie d’une erreur judiciaire, et cette semaine, il ne faudra pas rater Présumé coupable, une autre histoire vraie d’une autre erreur judiciaire, celle d’Outreau… L’histoire vraie est partout. On ne va plus au cinéma pour voir de la fiction, mais pour voir du vrai. C’est un argument de vente imparable. Il ne s’agit plus de créer mais de reproduire. Vous pourriez répondre à cela : « Et alors ? Où est le mal ? » Après tout, même si la recette est facile, à partir du moment où elle fonctionne, où est le problème ? A mes yeux, le problème est justement là : dans le fait que ce soit « facile ». Parce qu’à partir du moment où l’argument massue du vrai justifie tout et légitime tout, la question de la forme – qu’elle soit aussi bien visuelle que narrative – devient accessoire… Or, à mon sens, c’est là qu’on commence à tuer le cinéma… Je m’explique…

 

 

 

N’est pas si vrai celui qu’on présente comme tel…

 

 

« Tuer le cinéma ! Il y va fort lui ! » C’est vrai, après tout on s’en fout du cinéma, tant que l’émotion est là ! Maïtena Biraben ne le disait-elle pas ? …qu’il fallait voir ce film parce qu’il était d’une émotion intense ? Après tout c’est vrai : si l’émotion est là de quoi se plaint-on ? Mais la vraie question qu’il faut se poser c’est : de quelle émotion parle-t-on ? S’agit-il bien de l’émotion produite par le film ? Le problème d’une histoire vraie telle qu’elle est traitée dans les films ces derniers temps, c’est qu’elle sert de justificatif aux errances et aux lacunes de la construction du film. Chez moi, les films qui me parlent le plus sont ceux qui ont su construire un cheminement de pensée ou d’émotion, ce sont ceux qui ont su enchaîner les expériences sensorielles dans le bon ordre et selon le bon rythme pour qu’on puisse cheminer jusqu’à l’extase. On a beau « rien n’y connaître » (expression que je déteste, car ce n’est pas en cinéma qu’il faut s’y connaître pour aimer le cinéma…), on est tous sensibles à l’harmonie d’une narration, et ce sont les narrations les mieux maitrisées qui généralement nous touchent le plus. Or, ce qui fait que je ne me retrouve pas dans ces « histoires vraies » précédemment citées, c’est qu’elles sont généralement pétries de fautes de rythme, de scènes inutiles, de pathos tire-larmes assez écœurants. La seule différence avec les autres films qui ne sont pas estampés « histoire vraie », c’est qu’on les excuse. Exemple flagrant : 127 heures. Personne ne semble vraiment adhérer au cheminement du film, le fait que le gars soit contraint de se couper le bras, le fait qu’on doive passer une heure dans cette crevasse… Seulement voilà, à cela, l’argument qui revient est toujours le même : « Comment tu voulais qu’il s’y prenne Danny Boyle ? Le mec en vrai s’est VRAIMENT coupé le bras ! Ça s’est VRAIMENT passé comme ça… » A partir de là : amen ! C’est vrai, Danny Boyle a forcément raison : on a tort de considérer que certains passages sont chiants. Ce n’est plus le film qui est mal foutu, c’est à nous d’avoir honte de nous être ennuyé. « Il ne pouvait pas faire autrement… » Pourtant si – je l’affirme – il pouvait ! Il pouvait décider de faire en sorte que le mec ne se coupe pas le bras. Il pouvait faire en sorte que son calvaire ne se passe pas exclusivement dans une crevasse… Bref, il pouvait IN-VEN-TER. C’est du cinéma : on raconte ce qu’on veut ! L’avantage de l’invention, c’est qu’elle vous laisse libre. Libre de raconter ce que vous voulez et d’esquiver tous les passages que vous voulez… afin de rendre le propos plus pur et le spectacle plus fort. Mais bon, dans ces cas-là, effectivement, si votre film est mal gaulé, c’est de la faute de vos choix… Vous n’avez plus rien pour vous excuser…

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Et encore ! J’ai pris 127 heures parce que c’était l’exemple le plus flagrant, mais ce n’est pas forcément l’exemple le plus poussé. Pour moi, 127 heures reste un film qui se regarde, qui a quelque-chose à raconter et qui fait l’effort de le raconter avec la forme. D’autres films, parce qu’ils se cachent derrière le vrai, en profitent malheureusement aussi pour se cacher derrière des cheminements émotionnels faciles. Omar m’a tuer, par exemple, se contente finalement juste d’une simple indignation. « Pauvre Omar ! C’est dégueulasse ce qu’il lui est arrivé… », mais rien de plus. Roschdy Zem n’a pas osé aller au-delà. Il ne décortique pas le système judiciaire, il ne plonge pas dans le racisme latent qui entoure cette affaire, il ne se risque pas à faire de cette histoire une exploration de l’humain. Tout cela n’est qu’effleuré, le vrai ressort du film c’est le ressenti de l’injustice par Omar. Pourquoi pas… Mais c’est un peu léger pour une heure et demie. Heureusement d’ailleurs que le film est plus traité comme un film policier que comme un film plaidoyer car, pour moi, c’est ce qui le sauve et le rend plutôt agréable… Mais bon, pour le côté émotionnel, la seule indignation face au sort d’Omar semble suffire pour recevoir les lauriers… Et je n’ose même pas parler de La Conquête dans tout ça : car voilà bien là un film qui n’interprète rien, qui se contente juste de recopier ! Les imitations de chacun sont d’ailleurs risibles concernant ce film, et l’absence totale d’invention, d’interprétation et de prise de position rendent cette Conquête incroyablement creuse puisqu’au fond elle ne devient qu’un résumé de cinq années d’actualités… Mais bon, ce qu’il dit est « vrai », car les faits sont exacts… donc la critique ne peut trop rien reprocher. Que ce vide se soit transformé en complaisance à l’égard du sujet, ça, personne n’a osé le dire, parce que justement la dictature du fait, de ce qu’il s’est passé l’a emporté. Il est là pour moi le problème de l’histoire vraie. Cette dernière n’empêche pas les bons films, comme on pu l’être le discours d’un roi, the social network ou bien encore 127 heures, mais elle sert trop souvent de justificatif arbitraire à l’absence de cinéma. « Tu t’ennuies ? On ne te dit rien ? On te fait cheminer nulle part ? Mais c’est la réalité que tu critiques là ! Tu ne peux pas avoir plus authentique que ça ! Qui es-tu pour critiquer la vie ? Regarde le film et émeus-toi ! » …Et le pire, c’est que ça marche…

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Dans ce registre, Des hommes et des dieux est la plus belle escroquerie de l’année dernière. Le film ne dit rien, n’explique rien, ne montre rien, n’égratigne personne : les religions sont respectées, tous les personnages sont irréprochables, la guerre et le massacre ne sont la responsabilité de personne… Tout ça est éventé, désincarné, pour éviter de se casser la gueule. Ainsi, ne sert-on que de l’émotion primaire et simpliste : « c’est horrible ce qui leur est arrivé à ces pauvres moines… », de la même manière qu’on dira « c’est horrible ce qui est arrivé à ce pauvre Omar… » Le plus fort, c’est qu’on arrive à dire que ces films sont émouvants et forts. C’est faux. Ce ne sont pas ces films qui sont forts, ce sont les évènements qu’ils retranscrivent qui le sont. La guerre est déclarée n’est pas un film émouvant, c’est ce qu’il est arrivé à Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm qui l’est. Des hommes et des dieux n’est pas un film émouvant, c’est ce qui est arrivé aux moines de Tibhirine qui l’est. Qui oserait renier le fait que ces évènements sont émouvants ? Certes, c’est être inhumain que ne pas être touché par ces évènements… Mais est-ce que cela fait pour autant la qualité du film qui en parle ? « Oui » à en croire les critiques, à condition que le cinéma s’efface face à l’évènement et les personnages. Or, je pose la question, si le cinéma doit s’effacer face à l’évènement, pourquoi passer par ce média pour ressentir ces émotions fortes là ? Ce type de discours revient finalement à tuer le cinéma pour ce qu’il est… Car – oui ! – la force du cinéma, qui légitime son existence, elle se trouve dans la force du faux et de l’artifice, pas dans le vrai…

 

 

 

Quand le vrai est faussé, quand le faux touche à la véracité des choses…

 

 

Alors ça donne quoi un film vrai, plutôt qu’un film sur le vrai ? Après tout, je gueule depuis tout à l’heure contre un faux cinéma sans vraiment expliquer ce que le vrai cinéma est susceptible d’apporter de « plus ». Est-ce que je sous-entends par mon discours qu’il faut en finir avec les histoires vraies ? Les affaires judiciaires ? Les drames vraiment vécus ? Bien sûr que non ! Ce que je dis, c’est que le cinéma peut et doit transcender un fait. Le cinéma est un art, pas seulement un média. Le fait réel, l’histoire vraie non travaillée, peut susciter de l’émotion brute. Mais le cinéma, lui, peut transcender l’émotion brute pour en faire une expérience artistique. Qu’aurait dû faire Valérie Donzelli alors pour son histoire de guerre contre le cancer ? Eluder la gravité ? Retransformer le fait pour qu’il perde de sa véracité ? Non… Elle aurait dû l’interpréter. Ce qui me choque dans cette Guerre à déclarée, c’est que l’histoire est retranscrit à chaud, sans recul et du coup sans interprétation. Donzelli nous retranscrit les faits, les phases, mais jamais elle ne prend le temps de réfléchir à l’impact que cet évènement à révéler en elle, sur elle, sur l’humain. Le message de la Guerre est déclarée c’est : « quand ton gosse tombe malade, ça te détruit. »  C’est dit textuellement en guise de conclusion. Le gamin a guéri, la guerre est « gagnée », et la seule chose qu’elle trouve à dire c’est : « ce qu’on a vécu nous a détruit, c’est irrémédiable ». Eh ! Oh ! Ton gosse a survécu cocotte ! Il est VIVANT ! ça ce n’est pas détruit ! Tu pourrais au moins t’en réjouir ! Tu pourrais au moins réfléchir à ce que ce combat t’a apporté, ce qu’il va rendre possible et – surtout ! – ce qu’il rend conscient ! Mais non… Avec Valérie Donzelli, c’est « Le drame pour le drame ». Elle voulait juste retranscrire son vécu. Du coup, nous spectateur, on se le prend dans la gueule, et on se contente juste de dire : « Pauvre Valérie/Omar/Moines de Tibhirine/petit chien écrasé sur la route (choisir la mention voulue)… C’est dégueulasse ce qui lui/leur est arrivé… » Ce film aurait pu aller au-delà de ça, au lieu de jouer 1h30 sur la même émotion, sur le même registre. Ce film aurait pu créer une dynamique émotionnelle. Mais ce film ne l’a pas fait parce qu’il est resté accroché à la réalité de l’évènement, au « vrai »… Interpréter, cela aurait appelé à se projeter de l’avenir, à imaginer, à inventer… Or, Valérie Donzelli, dans une démarche de chroniqueuse esthétisante plutôt que dans sa démarche d’artiste introspectif, ne peut pas – ne VEUT pas ! – faire cette démarche d’interprétation qui aurait pourtant apporté de la richesse à son propos sans pour autant lui faire perdre de la force…

 

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La guerre est déclarée à gauche, Rabbit Hole à droite...

 

Finalement, à mon sens, ce ne sont pas ceux qui ont vécu VRAIMENT les évènements qui sont les mieux à même d’en parler. Un artiste n’est pas quelqu’un qui a vécu, c’est quelqu’un qui a ressenti, qui a intériorisé. Et puisque c’est La guerre est déclarée qui m’a fait écrire cet article, je vais rester dans l’actualité pour lui opposer un autre film, sorti cette année, qui n’a ni rencontré l’appui des critiques et l’intérêt des spectateurs (le second étant souvent rendu possible que par le premier), c’est le film de John Cameron Mitchell qui traite d’un sujet quasi-similaire : ce film c’est Rabbit Hole. Rabbit Hole ne raconte pas le combat d’un couple pour sauver son enfant mais – pire encore ! – il raconte comment un couple vit la perte d’un enfant. Cette histoire est une pure fiction, rien de « vrai ». Mais ce que cette fiction explore par contre, parvient à élargir considérablement notre perception de ce type d’évènement douloureux. Il ne s’agit pas de faire que du pathos – ce que le label « histoire vraie » aurait rendu possible et tolérable – il s’agit de s’interroger sur notre façon de réagir au drame. Le père, interprété par un brillant Aaron Eckhart, se complait dans les souvenirs de l’enfant perdu ; tandis que la mère, sublime Nicole Kidman, n’ose se confronter au souvenir à cause de la douleur. Un couple, deux perceptions différentes du deuil, une confrontation. Notre esprit se retrouve en position de tiraillement, nos sentiments sont appelés à contribution pour réfléchir à la façon dont on réagirait – et dont on pourrait réagir ! – face à une situation similaire. Faut-il rester ensemble alors que le couple rappelle à la mère la douleur ? Faut-il vivre dans le passé, reproduire pour remplacer,  comme le fait  et comme voudrait le faire le père ? Chacun a son cheminement, le film nous propose des perspectives auxquelles on ne penserait pas forcément. D’une simple émotion brute, la douleur de la perte, on passe à l’exploration de notre ressenti, de notre humanité… Le film devient un voyage à l’intérieur de nous-mêmes… Pourtant il est faux… Il est faux, mais il explore quelque-chose de vrai : nous. Ça, pour moi, c’est du vrai cinéma. C’est du cinéma dans lequel la vie est possible, dans lequel MA vie est possible, car je peux cheminer. La guerre est déclarée, ou bien des Hommes et des dieux, nous laissent esclaves face au drame. On le subit, on ne peut y cheminer, s’y libérer. L’évènement vrai rend le spectateur esclave. L’artifice lui ouvre les portes de l’exploration de ce qu’il a de plus vrai : son humanité. Mais encore faut-il que l’artifice n’accroche pas le bon sens, la sensibilité, bref encore faut-il que l’artiste qui construit son artifice soit subtil et consciencieux Bref, encore faut-il que l’artiste soit doué. L’histoire vraie, c’est l’art du pauvre. Non pas le pauvre spectateur, mais le pauvre cinéaste. Ce cinéma du pauvre peut exister, il doit exister, mais il ne doit pas tuer, éclipser,  mépriser, dévaloriser ce qui reste pour moi le VRAI cinéma…

 

 

Conclusion : la vraie nature du vrai…

 

Laissez vivre le cinéma du vrai… et laisser vivre le vrai cinéma. Aucun des deux n’a plus de légitimité que l’autre. Le second ne doit donc pas être dévalorisé par rapport au premier. C’est d’ailleurs en faisant en sorte que les deux puissent coexister sans souci que tout le monde trouverait son bonheur dans les salles obscures et profiterait ainsi pleinement de ce que pourrait offrir le cinéma… Paradoxalement c’est tout ce que je demande, rien de plus… Vous allez me dire, mais c’est pourtant déjà le cas : Rabbit Hole et La Guerre est déclarée sont tous deux sorties en salle : quoi de plus équitable ? Les adorateurs d’artifices sont allés voir le premier, les chercheurs de véracité des faits sont aller voir le second, tout le monde est content. Pourquoi en avoir fait un article dans ce cas ? Eh bien justement parce qu’à mon sens, quand la Guerre est déclarée finit en tête des entrées dès sa première journée d’exploitation alors que Rabbit Hole quitte les salles par la petite porte au bout de deux semaines, j’estime qu’il n’y a pas eu équité. L’encensement consensuel et unanime de la critique en faveur de la Guerre est déclarée a clairement favorisé le décollage du film et donc la perpétuation de son genre en le rendant ainsi rentable commercialement. En laissant Rabbit Hole au fond de son trou, la critique a condamné dès le départ à l’enterrer vivant alors qu’un public existe sûrement aussi pour ce film. Tout ça au nom de quoi ? Des goûts et des couleurs ? Quand il y a un tel consensus et une telle uniformité en faveur d’un genre ou d’un type de film, on ne peut plus parler des goûts et des couleurs mais clairement DU goût et de LA couleur. En disant cela je ne crie pourtant pas au complot de l’intelligentsia parisiano-bourgeoise qui cherche perfidement et consciemment à nous formater. Oh que non ! Je n’accuse personne. Mais j’appelle à une prise de conscience. Qu’on prenne conscience que, d’une part, la critique presse est essentiellement homogène socialement et géographiquement, qu’elle exprime ses goûts en fonction des représentations qui lui sont propres, et que leur monopole de fait de la promotion des films qui sortent actuellement en salles conditionnent automatiquement notre connaissance des sorties, nos choix de visionnage et donc forcément le développement d’un certain type de cinéma par rapport à un autre. Qu’on perde de vue cette idée est une petite tragédie, car voila comment on appauvrie la diversité du cinéma et surtout comment, dans la période nihiliste que nous connaissons actuellement, nous laissons une minorité nous faire accepter progressivement que l’artifice n’est pas propre au cinéma et que l’imagination n’a plus sa place dans la création… Alors oui, j’ose l’affirmer à nouveau : ne laissons pas le cinéma du vrai devenir la norme car là, ce serait vraiment tuer le cinéma…

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